Agnès Renaud a mis en scène avec un brio particulier cette œuvre extrêmement riche et forte de Lars Norén au Lucernaire. Une réunion de famille devient le prétexte à un déballage sans concession et d’une extrême violence verbale où les mots et les émotions sont autant de coups assénés aux uns et aux autres. Ce huis clos étouffant fait la part belle aux comédiens qui nous livrent une belle interprétation de cet enfer. Plus que jamais l’adage « famille, je vous hais » s’applique à cette famille qui se déchire en tout point et dont les lambeaux brillent par la capillarité de leurs ressentiments.

 

Les thèmes abordés dans cette pièce sont très riches. Cette œuvre déroule un ensemble de problématiques toutes aussi essentielles les unes que les autres. Mais à chaque fois, l’une surclasse la précédente et laisse entrevoir aux spectateurs toute l’étendue de la souffrance des personnages. Ce spectacle fonctionne par vagues ou le flux et le reflux s’accompagnent de pauses entre deux crises. Telle une marmite prête à exploser, cette famille s’éprouve, se déchire mais au nom de sa propre légitimité entend demeurer en l’état. Les multiples tentatives de faire céder cette coquille familiale s’avèrent vaines. La souffrance conjuguée à la haine devient paradoxalement le ciment de cette famille dont la perversité n’a d’égale que la violence des filles envers leurs parents. « Nous ne sommes jamais aussi mal protégés contre la souffrance que lorsque nous aimons. (Sigmund Freud). »

  

L’absence morale du père a créé à l’intérieur de cette cellule familiale un monstre maternel qui s’est emparé de la place du père laissée vacante. Eprise d’elle-même, telle une Médée moderne, jalouse de ses filles, elle a contribué à isoler ses enfants afin de les cannibaliser. Lors de cette réunion de famille, elles tentent de secouer le joug de cette servitude machiavélique exercée par leur mère. Les échecs sentimentaux de leurs filles, Ewa et Ann font inconsciemment un acte de révolte devant le naufrage patent du couple que forment Henrik et Margereta. Un désir de ne pas s’inscrire dans les faux-semblants qui ont jalonné la vie de leurs parents.

 

Tiraillées entre la culpabilité distillée par Margereta et le souhait de s’affranchir, elles témoignent de leurs luttes face à cette mère qui les a dominées et écrasées depuis si longtemps. Chacune essaye d’obtenir la victoire totale et de terrasser son adversaire. Mais ce projet ne peut aboutir car il est intimement lié à son auteur. L’histoire personnelle de chacun est liée à une histoire collective.

 

Une scénographie réduite à une table de quatre mètres rappelle le symbole de la famille ou de sa mystification. Lorsqu’elle est disposée de travers, on ressent les désunions et les rancœurs qui se font jour. Ce spectacle ne se contente pas seulement d’aller à l’essentiel, mais il emprunte un chemin bordé de sujets de réflexion qui nous interpellent tous.

 

Les comédiens sont remarquables en jouant une partition assez difficile sur un thème aux allures évidentes mais, somme toute, très compliquées. Ce spectacle, de toute beauté est passionnant tant par l’abyme de questions et de réflexions qu’il génère que la trame même du propos.

 

Laurent Schteiner

 

Automne et Hiver de Lars Norén

Mise en scène d’Agnès Renaud

Avec Christine Combe, Virginie Deville, Patrick Larzille et Sophie Torresi

 

Lucernaire

53 Rue ND des Champs

75006 Paris

Résa : 01 45 44 57 34

www.lucernaire.fr

Du mardi au samedi à 21h
Du 9 novembre 2011 et 8 janvier 2012
Relâches les 24 novembre et 22 décembre 2011

 

et aussi

 
Automne et hiver aux Editions de l’Arche Editeur

 

 Traduit du suédois par Jean-Louis Jacopin,  Per Nygren et Marie de La Roche, 1993, 144 p.

 

ISBN : 2-85181-324-2 – 13€

 

 

 

 

 
 

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