Alexandre Tchobanoff vient de s’illustrer de belle manière au Phénix Festival avec « Cendres sur les mains » de Laurent Gaudé. Cette pièce, qui  témoigne de l’absurdité de la guerre en l’opposant à une vision humaniste empreinte de poésie, sera présente dès le 5 septembre 2021 au Studio Hébertot. Un spectacle inratable !!! Découvrez notre entretien…

Pourquoi avoir voulu mettre en scène cette œuvre de Laurent Gaudé ?

Alexandre Tchobanoff _ J’ai été impressionné à la lecture de la pièce de Laurent Gaudé, notamment par les dialogues. Pour moi les dialogues au théâtre représentent l’action. Puis, étonnamment, j’ai ri, beaucoup ri même sur un sujet pas du tout risible. A la lecture de la pièce, j’ai eu une vision que j’ai partagée avec Prisca Lona. Cette pièce mariait à la fois le théâtre et le cinéma. Je voyais des images telles que la liberté, le vent, la mer, ou encore la femme. L’action se déroule dans une Europe ravagée par la guerre. Une femme, une rescapée, un témoin clé pour la transmission de la mémoire incarne le fil rouge de la liberté dans cette tragédie. En un sens, cette pièce, c’est une ode à la femme, à la vie et la liberté. Et puis, il y a cette fosse commune avec ces fossoyeurs, cette guerre avec un pont entre les 2 mondes la vie et la mort. Ce sont les dirigeant de ce pays qui imposent à ces fossoyeurs une dictature afin qu’ils exercent un métier sans aucune réflexion. Connaissant personnellement ce type de régime totalitaire, j’ai été immédiatement séduit par ce sujet.

Comment ce casting de comédiens s’est imposé à vous ?

A.T._ Concernant le niveau d’exigence de cette pièce, il me fallait des comédiens d’expérience et de talent pour qu’ils puissent vraiment rentrer dans la folie de ces personnages. Nous sommes dans une réalité dominée par l’absurdité. On se trouve sur le fil du rasoir : il ne faut pas tomber dans la parodie mais une forme de drôlerie quand on exerce un métier sous l’ordonnance d’une entité qui nous gouverne. Je disposais de 2 comédiens formidables : Arnaud Carbonnier et Olivier Hamel. Prisca Lona avait été préalablement pressentie pour le rôle de cette femme rescapée connaissant son engagement, sa voix et son talent.

Qu’est-ce qui vous a touché personnellement dans ce texte ?

Prisca Lona_ J’affectionne particulièrement l’écriture de Laurent Gaudé. : des structures de phrases très simples, un phrasé très personnel où il arrive à mener une puissance, une élégance réussissant à transmettre beaucoup de choses. Quand j’ai lu la pièce, j’ai également beaucoup ri parce que ces 2 hommes sont tellement stupides. Puis en contrepoint, il y a cette rescapée qui raconte son histoire à travers son témoignage de ce qu’elle a vécu. La monstruosité de ces 2 hommes qui sont ridicules et absurdes donne plus de force au récit et au témoignage de ces gens qui ont vécu les horreurs de la guerre et la stupidité d’un système. Ces fossoyeurs sont à la fois monstres et victimes d’un système qui broie tout sur son passage.

Copyright Laurent Schteiner

Que vous dit Alexandre pour créer ton personnage ?

P. L._ On a beaucoup parler entre nous. Je m’interrogeais. Est-elle là ou non ? Dans quelle temporalité vit-elle ? Passé, présent ou futur ? Elle parle de faits présents mais sa narration est au passé. C’était compliqué pour moi de me positionner par rapport à ça. Est-elle fantomatique ou plus vivante ? J’en ai parlé avec Alexandre et les 2 Fossoyeurs pendant les répétitions. La rescapée est la passeuse d’âme et gardienne de la mémoire, elle représente la vie. Elle ne peut pas être fantomatique. Elle est donc présente ! Il faut réussir à maintenir cette distante tout en faisant évoluer le personnage.

A.T._ D’où l’importance de la vidéo lorsque j’ai demandé les droits d’auteur à Laurent Gaudé. Je défendais la rescapée cinématographiquement, c’est à dire une forme d’omniprésence de la vie. Elle est présente à 2 stades : le passé et le présent. Mon idée était de faire ce lien temporel entre Le théâtre et le cinéma. Laurent Gaudé a accepté immédiatement.

Quel a été votre apport à la mise en scène ?

P.L._ Me concernant, il s’agissait plus des petits ajustements à la mise en scène. Au départ, on voulait créer une motte de terre atour de laquelle les fossoyeurs vivraient. Comme un trou qu’on creuse pour mourir. Mais j’ai imaginé ces sacs à la place. C’était beaucoup plus simple à mettre en oeuvre tout en amenant une identité visuelle et esthétique au plateau en accord avec celle d’Alexandre. J’ai également donné mon avis sur certains passages sur la direction d’acteurs.

A.T._ Ces petits apports ses ont révélés judicieux toutefois. Prisca, en charge de l’assistanat à la mise en scène et du script, m’a énormément aidé et n’a pas hésité à déplacer le curseur sur des points que je n’avais pas vus. C’était un regard extérieur salutaire !

P.L._ L’avantage que j’avais dans ma mission d’assistante à la mise en scène est que le personnage de la rescapée est à part, elle n’est jamais en dialogue avec les fossoyeurs (elle n’a “que” des tirades ou des récits) . Ce qui m’a permis d’une part de pouvoir écouter et regarder les fossoyeurs sans altérer le déroulé des scènes et d’autre part d’avoir un regard extérieur sur la pièce. Je notais tout ! Déplacements, intentions, accessoires, décors, lumières, sons…

De quelle manière pensez-vous faire éventuellement évoluer la pièce ?

 A.T._ Au studio Hébertot l’espace est différent car la boite noire est à 9 m de hauteur ! C’est du bonheur car je peux créer ces 17 scènes où chaque tableau aura sa propre couleur. La vidéo sera le passage entre chaque tableau de la mort vers la vie. Il faudra resserrer certaines scènes qui demandent davantage de rythme. Les temps morts seront remplacés par des flashs. La fumée représentera la chaux comme symbolique. Ces détails serviront avec efficacité le texte.

Prisca, qu’aimez-vous le plus dans votre rôle et vers quoi le verriez-vous évoluer ?

Bien sûr, j’aime est le message de la pièce et le témoignage de cette femme à travers son histoire. En tant que comédienne,  j’aime par-dessus tout marcher sur le fil du rasoir car la pièce est ponctuée du récit de la rescapée. Mais il convient de garder un parfait équilibre entre cette tension entre cette colère et cette la rage (toute sa famille s’est fait tuer sous ses yeux) sans tomber dans le mélodrame et/ou dans une rage criée.

A.T._ En termes d’évolution, il y aura un moment où il va se passer quelque chose entre la rescapée et les fossoyeurs.

Le message le plus important pour vous ?

A.T._ Il ‘n y a rien de plus fort qu’aimer la vie et de croire en elle malgré toutes les vicissitudes (guerres, accidents…) c’est l’espoir qui porte l’homme et le magnifie en le plaçant sur un piédestal.

P.L._ Un message d’humanité prédomine : à savoir, l’importance cruciale de faire le lien entre les morts et les vivants. Il faut une passation de s ces histoires et de ces vies. C’est nécessaire. Si on oublie, on reproduit. C’est une éducation de l’humanité. La guerre du Kosovo s’oublie peu à peu. Pour la jeunesse, elle demeure lointaine, effacée ou inconnue. Dans cette pièce, Il n’y pas de temporalité, d’époque, ni de pays ou de couleurs… ce qui est décrit dans la pièce entre dans l’universalité de la guerre, de toute les guerres.

Un mot pour résumer la pièce ?

A.T._ l’air : respirer…  la vie…
P.L._ le ciel… la liberté

Propos recueillis par Laurent Schteiner

 

 

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