Voilà un spectacle qui ne laissera pas indifférent. Existe-t-il en effet sujet plus clivant, plus délicat en ce moment en France que la radicalisation ? Absolument bouleversant dans son interprétation, Hakim Djaziri incarne un jeune homme banal qui en l’espace de quelques années de frustrations et d’une succession de mauvaises décisions se retrouve une Kalachnikov à la main prêt à commettre l’irréparable. « Désaxé » refait le chemin pas à pas, non pas pour excuser mais pour essayer de comprendre le mécanisme, pour ouvrir le dialogue peut-être, mais en tous les cas affronter la réalité sans ciller.

Un homme face à des choix, un homme qui à la croisée des chemins décide de suivre le mauvais. Hakim Djaziri nous entraîne sans ménagement dans le processus de la radicalisation, revivant avec son personnage la descente aux enfers, repassant une à une les étapes qui ont conduit cet enfant algérien issu d’une famille cultivée et aisée à basculer du côté de la haine quelques années après son arrivée en France. Quelles sont les écorchures, les coups de canif de la vie qui ouvrent peu à peu un abîme de peurs, de colères, de haine si noire que le meurtre apparaisse comme une issue, comme un sens ?  Pour illustrer la complexité de l’endoctrinement  et mener un combat de raison face à l’idéologie mortifère des intégristes l’auteur livre un texte puissant, qui pèse chacun de ses mots, l’écriture d’Hakim Djaziri est en effet d’une efficacité redoutable tant dans sa rythmique que dans la dramaturgie, et il résonne avec d’autant plus de force qu’il est en partie autobiographique.
Quentin Defalt met en scène ce texte coup de poing, comme à son habitude il convoque une esthétique particulièrement chiadée, épurée et sombre. Le plateau est coupé en deux à l’instar de son personnage principal, illustrant deux mondes qui ne se touchent pas, qui s’observent chacun farouchement au travers d’un prisme, un filtre qui isole et fausse les jugements. D’un côté du tulle noir, face à nous, un espace du réel, il raconte, il se raconte sans fards, sans enrober il dit tout. Ce récit à la première personne c’est sa manière à lui de refaire le chemin, de voir, de chercher où précisément quelque chose a déraillé, par quelle secousse légère ou violente il est sorti de son axe, de comprendre peut-être que justement il n’y a pas un moment charnière mais bien un ensemble de faits complexe et indissociable. Derrière le tulle tous les autres, père, mère, femme, amis, imam ou frères de djihad tous ceux qui croisent sa route sans voir la dérive lente, la transformation qui s’opère ou ceux qui au contraire l’accompagnent ou encore la subissent. La mise en scène est en fragments, en séquences au rythme soutenu comme le débit de son acteur, des épisodes saccadées comme les pulsations d’un coeur, haletant comme un polar dont on connait pourtant la mauvaise fin.
Face à l’incompréhensible, face à l’inénarrable « Désaxé » amorce un premier pas courageusement, l’ébauche d’une rédemption. C’est douloureux, c est révoltant mais c’est un combat à mener. Une minuscule lumière dans un abîme de noirceur. 

Audrey Jean

« Désaxé » écrit et interprété par Hakim Djaziri

Mise en scène et scénographie : Quentin Defalt
Avec Florian Chauvet, Hakim Djaziri et Leïla Guérémy
Collaborateur artistique : Adrien Minder

Hakim Djaziri est lauréat du Grand Prix du Théâtre pour son texte Désaxé.

Festival Off d’Avignon 
Théâtre du Train Bleu 15H15

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