Pierre Notte s’empare d’un texte éprouvant de Denis Lachaud, de ces textes difficiles qui martèlent une réalité insoutenable mais qui parviennent malgré le poids de leur propos à y faire jaillir la lumière. « La magie lente » retrace le long parcours d’analyse d’un homme diagnostiqué par erreur schizophrène, un combat du corps et de l’esprit pour affronter la vérité que la psychée cherche à cacher. Benoit Giros prend à-bras-le-corps cette partition douloureuse pour une interprétation impressionnante de justesse et de sensibilité.

Cela commence avec le sérieux et la distance d’un colloque en psychiatrie. L’orateur nous présente un cas d’école pour délimiter entre collègues les démarches à suivre devant des patients au profil plus complexe que d’autres. Ainsi il convoque au plateau Monsieur Louvier schizophrène depuis 10ans, persuadé d’être fou à lier et victime d’hallucinations à caractère sexuel. Débute alors le long chemin de la psychanalyse, un chemin de croix pour Monsieur Louvier qui par le seul pouvoir de la parole et de l’introspection va peu à peu revivre son passé, son enfance, et déterrer le traumatisme originel.

À l’écoute de Benoit Giros, on éprouve une sensation de vertige, de perte de repères face à l’abîme que peut évoquer le cerveau humain et sa mémoire, face à la répétition des mots comme des sentences à digérer, les violences qui jaillissent en saccades, on combat au départ, on lutte contre ce monologue éprouvant comme face à une tentative d’intrusion récurrente dans notre pensée. Les mots sont crus, le récit brutal, l’horreur des exactions du passé intacte, mais par le biais de cette magie lente, de ce glissement presque musical l’on apprend à apprivoiser le flot en même temps que le personnage du texte de Denis Lachaud. Pierre Notte joue la sobriété , la charge est telle qu’il faut indéniablement la laisser exister sur la scène mais l’on remarquera l’idée judicieuse de donner au comédien la prise en charge totale du plateau. C’est lui en effet qui actionne la mise en lumière et qui ainsi joue la mise en abîme permanente de la prise de conscience du personnage. Petit à petit, par l’effet salvateur de la parole, la reconstruction commence, les clefs ouvrent doucement les portes de l’inconscient, remettant dans le bon ordre toutes les pièces du puzzle. La magie lentement opère, et finalement dans un ultime sursaut, un tout petit moment, avec une respiration, un tout petit geste presque imperceptible et pourtant si grand, Benoit Giros illustre le chemin parcouru par son personnage. Libéré du flux des mots et de la noirceur des souvenirs, prêt à avancer enfin vers un futur apaisé.

Audrey Jean

« La magie lente » de Denis Lachaud
Mise en scène de Pierre Notte 

Avec Benoit Giros

Festival Off d’Avignon 
Théâtre Artéphile à 19h20 

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