Après « Les vibrants » et plus récemment « La main de Leïla » la jeune auteure Aïda Asgharzadeh présente une troisième création en ce moment au festival Off d’Avignon. « Le dernier cèdre du Liban » retrace le parcours croisé d’une mère et sa fille au terme d’une intrigue romanesque et parfaitement maîtrisée. Une quête initiatique double sur fond survolté et tragique de guerre au moyen-orient, la confirmation indéniable qu’Aïda Asgharzadeh est en passe de devenir une auteure incontournable. Un énorme coup de coeur !

Abandonnée à la naissance Eva joue désormais les têtes dures dans un foyer pour adolescents en difficulté. Convoquée dans le bureau du directeur elle apprend que sa mère biologique vient de mourir, lui laissant en héritage une mystérieuse caisse en bois. À l’intérieur quelques babioles et des cassettes audio. Feignant d’abord de ne pas s’y intéresser Eva est très vite happée par la voix de sa mère sur les cassettes, une voix qui l’aide à reconstituer peu à peu son histoire et à comprendre enfin les raisons de son abandon. Eva écoute fébrilement les cassettes, essayant d’y trouver le sens de son existence, de cette colère enfouie en elle depuis toujours. Tout y est, toutes les clefs, toute la confession d’une mère à sa fille. Paris, Beyrouth, Berlin et tant d’autres destinations pour une aventure profondément humaine aux confins des conflits les plus horribles de ce monde. La passion d’un métier, photo-reporter. L’amour aussi.

Au-delà du texte formidablement bien construit d’Aïda Asgharzadeh c’est la fluidité de la mise en scène qui impressionne ici. Nikola Carton s’empare en effet de cette intrigue à tiroirs avec maestria. Le plateau est quasiment nu, avec une poignée d’accessoires pourtant les deux acteurs vont incarner une multitude de personnages, opérant toujours entre les séquences un magnifique fondu, un glissement subtil dans le temps comme pour mieux démontrer que tous ses destins rencontrés sont intimement liés. Entre eux la guerre bien sûr, des trajectoires brisées, des blessés, des bourreaux, des vaincus et aussi ceux sur le terrain qui doivent tant bien que mal rapporter les images de cette réalité aussi insoutenable soit-elle. Il suffit d’un rien pour faire un grand spectacle parfois, dans « le dernier cèdre du Liban » cette magie opère de bout en bout, avec une simplicité désarçonnante, à mesure que le spectateur avance à tâtons, comme l’héroïne face au silence de ses origines. On découvre en même temps qu’elle sa vérité, le cheminement qui a conduit sa mère a suivre cette voix plutôt qu’une autre, et on la voit grandir Eva. Il fallait évidemment des acteurs solides pour que ce texte résonne avec force, et Magali Genoud est incontestablement cette actrice. Elle incarne en parallèle Eva et sa mère, les unissant éternellement ainsi de la plus belle des manières, et réalisant une performance des plus remarquables quand à la multitude des émotions à jouer. Azeddine Benamara l’accompagne avec tout autant de lumière, endossant tous les autres rôles il sait apporter grâce à son interprétation la touche d’humour parfaite pour alléger l’ensemble tout en étant également plus sombre dans le rôle du père d’Eva par exemple. Vous l’aurez compris il s’agit bien là d’une magnifique réussite, un assemblage idéal, une petite magie d’ou l’on ressort bouleversé et saisi par la fulgurante beauté du théâtre.

Audrey Jean

« Le dernier cèdre du Liban » de Aïda Asgharzadeh
mise en scène Nikola Carton

avec Magali Genoud et Azeddine Benamara
chant Romane Claudel Ferragui.

Crédit photo : Simon Gosselin.

Festival d’Avignon off 2017
La Conditions des soies à 13H25

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