Après le succès retentissant de « Paradoxal » au Théâtre de Belleville, Marien Tillet nous gratifie d’une nouvelle pépite cette fois au festival Off d’Avignon « Le dernier ogre ». À l’instar de ses précédentes créations la compagnie Le cri de l’armoire nous propose une forme unique, un croisement hybride de plusieurs narrations et disciplines pour un spectacle inoubliable. À ne manquer sous aucun prétexte !

Qu’est-ce qu’un ogre après tout ? Nous en avons des souvenirs d’enfance liés aux contes, des sensations associées à nos premières rencontres avec ce personnage mythique insatiable et monstrueux, il a créé en nous un mélange étrange de fascination et de peur. Mais sommes-nous capable de voir à quel point il nous ressemble ? Dans une libre adaptation du petit poucet, Marien Tillet nous invite à écouter l’ogre, à vivre l’histoire de son point de vue. Mais il ne s’arrête pas là, il met en perspective son infatigable appétit, sa névrose avec celle d’un homme de notre temps, interrogeant alors notre rapport maladif au bonheur et la radicalité de nos choix qui repousse toujours plus loin les limites de la société. Entre ces deux personnages en effet un lien, une connexion, la faim, sensation incontrôlable et viscérale qui rend les hommes comme les ogres prêts à tout pour l’assouvir, un mal noir et sournois qui finit par les rendre tous fous à lier.

Les spectacles de Marien Tillet font véritablement partie du registre de l’expérience, à chaque nouvelle création une aventure à vivre tant l’artiste renouvelle en permanence l’art du conte. « Le dernier ogre » ne déroge pas à la règle et entraîne le spectateur dans une atmosphère tourmentée, une transe musicale et hypnotique, un état d’écoute intense et au plateau visuellement une forme absolument unique. Car enfin « Le dernier ogre » se situe à un carrefour pour le moins original, trois artistes au plateau prenant chacun à bras le corps une part de cette narration croisée. Tout s’entremêle dans un parcours sinueux et d’une intelligence rare, une épopée qui se joue des réalités et des codes, sans oublier de questionner le monde  avec justesse sur sa noirceur. Marien Tillet est le conteur d’un récit fractionné en deux phases distinctes, deux matériaux aux fluctuations, aux textures différentes qui pourtant finissent par se mélanger l’un à l’autre, par se ressembler de plus en plus dans ce qu’ils convoquent d’horreur. Maîtrisant à la perfection l’outil parole, il jongle avec maestria entre slam, conte initiatique et questionnement en apparence badin et finalement profondément métaphysique. La langue slammée en alexandrins est d’une beauté sidérante, accompagné par la création musicale et la présence énigmatique de Mathias Castagné, Marien Tillet devient au micro immense, colossal, ogre parmi les ogres il est littéralement hypnotisant. Il faut dire que le duo se connaît, il trouve instantanément une note commune, une alchimie magnifique, un flow ravageur qui remplit les ventres, les coeurs et l’espace. En toile de fond enfin, presque par magie, comme un contrepoint poétique Samuel Poncet peint à l’eau le décor du conte. Le paysage se dessine et change lentement, finalisant l’atmosphère si particulière de ce spectacle. De ces trois partitions, comme trois petits sillons qui se rejoignent en un fleuve gigantesque et bouillonnant naît une tension, un crescendo saisissant et organique qui nous tient haletant jusqu’à la révélation finale. Quand la voix de Marien Tillet s’arrête, que les dernières notes de guitare se taisent nous restons là terrassés par l’ogre, par ce qu’il dit de nous, sidérés par l’idée que nous le mangeons notre monde, nous restons là, sonnés.

Audrey Jean

« Le dernier Ogre » par la compagnie Le cri de l’armoire

Écriture, récit et mise en scène Marien Tillet
Scénographie et live painting Samuel Poncet
Composition musicale et guitare Mathias Castagné
Création sonore et régie générale Simon Denis

Festival Off d’Avignon 
11 Gilgamesh à 14h45 

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