La programmation du Théâtre des Halles lors de ce festival d’Avignon est pour le moins alléchante. À 16H30 la salle ne désemplit pas, le public est déjà présent en masse pour l’adaptation du film de Ken Loach palme d’or à Cannes en 2016 « Moi, Daniel Blake ». Il faut dire que le pari est réussi, la compagnie Joël Dragutin transpose tous les enjeux du film au théâtre en utilisant à bon escient les matériaux de la scène et en s’appuyant sur des comédiens exemplaires.

Daniel Blake, ouvrier de 59 ans, fait une crise cardiaque au travail et est arrêté par la suite par son médecin. Sans revenu il se tourne vers les aides sociales mais se heurte à l’absurdité d’un système en bout de course, à la réalité ubuesque du labyrinthe administratif auquel sont confrontés chaque jour les pauvres en Angleterre. Et ailleurs.

Le cinéma de Ken Loach aborde de manière frontale les problématiques économiques de l’Angleterre pour nous servir régulièrement des films bruts, engagés, militants qui se placent toujours du côté des plus faibles. « Moi, Daniel Blake » est de cette veine et la traversée mouvementée qu’effectue le personnage principal dans un monde déshumanisée représenté ici par le Newcastle du film est éminemment interessante d’un point de vue dramaturgique. Autour de lui en effet gravitent tout un tas de personnages haut en couleurs qui racontent cruellement mais non moins justement la société contemporaine. Joël Dragutin s’empare de ce matériau avec respect et ne cherche pas à le détourner outre mesure. Une scénographie astucieuse ni trop réaliste ni trop abstraite rend un bel hommage à l’imaginaire activée face à un plateau de théâtre, utilisant çà et là des petites trouvailles pour remplacer l’image filmée, transformer l’objet cinema en objet scénique. La tentative est assez minimaliste, l’équipe ne s’éloigne pas beaucoup du film de Ken Loach mais malgré tout la transposition au plateau actionne quelque chose de différent chez le spectateur, il y a évidemment moins de distanciation au théâtre et la terrible réalité de ces personnages nous saute au visage de manière encore plus crue. Joël Dragutin peut s’appuyer sur une distribution de haut-vol pour animer ce ballet savamment chorégraphié, mention spéciale pour  Jean-Yves Duparc qui incarne avec brio un Daniel Blake juste ce qu’il faut de français. Les enjeux sont intacts, la narration au service du sociétal, pour interpeller le spectateur sur les devoirs réels et bien concrets du politique.

Audrey Jean

« Moi, Daniel Blake » d’apres Ken Loach et Paul Laverty
Mise en scène de Joel Dragutin 

Avec : Jean-Yves Duparc, Sophie Garmilla, Jean-Louis Cassarino, Aurélien Labruyère, Stéphanie Lanier, Fatima Soualhia-Manet, Clyde Yeguete
Création lumière : Orazio Trotta
Création son : Thierry Bertomeu
Costumière : Janina Ryba
Photographies : Jean-Michel Rousvoal

Festival Off d’Avignon
Théâtre des Halles à 16h30 

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