Artisan et promoteur du Festival KOMIDI à La Réunion depuis 12 ans, Philippe Guirado nous convie à la fin du mois d’avril à la fête du théâtre. Le festival KOMIDI, depuis sa création, oeuvre pour démocratiser le théâtre et le rendre accessible à tous. Les représentations scolaires sont gratuites pour 13 000 élèves du Sud. Grâce au dispositif «Komidi Ensemb», les écoliers, collégiens et lycéens peuvent inviter leur famille à un spectacle, et ainsi peuvent faire l’expérience du théâtre, avec leurs proches. Chaque année nous sélectionnons des spectacles variés parmi ce qui se fait de mieux sur la scène nationale, internationale et réunionnaise. Afin de répondre à vos attentes de spectateurs et de combler un public toujours plus nombreux, avide de découverte, de magie, de réflexion et d’émotions… KOMIDI en partenariat avec le Théâtre des Sables à L’Etang-Salé propose cette année près de 4000 places de plus pour les petits et les grands.

Comment vous est venue l’idée de créer ce festival ?
Saint Joseph de la Réunion ville la plus australe de l’UE souffrait en 2008 année de création du festival d’être éloignée de l’offre culturelle en général et du théâtre en particulier. La situation économique et sociale dans ce petit bout de France était très difficile avec un taux de chômage avoisinant les 50%  de la population active avec son corolaire un taux d’échec scolaire supérieur à la moyenne académique. Cette situation allait encore s’aggraver en 2008 puisque le seul outil culturel de la commune à savoir le cinéma allait fermer par le départ à la retraite de son propriétaire.

Il fallait faire quelque chose aussi avec quelques amis nous avons présenté au maire de la Commune Mr Patrick Lebreton l’idée de créer un festival de théâtre car il permettait de faire se rencontrer en même temps les œuvres, des élèves et bien entendus des artistes en chair et en os permettant des rencontres, des ateliers de pratiques artistiques des bords de scènes, des parcours du spectateurs…Initialement nous pensions que lors des représentations tout public du soir il n’y aurait pas grand monde mais l’idée était de prendre pour public cible l’élève de seconde en se donnant une échéance de 3 ans, temps qu’il fallait aux élèves de seconde de devenir majeur et de quitter le lycée. Nous espérions ainsi que de public « captif » certains prendraient plaisir et reviendraient par eux même une fois majeur lors des représentations du soir. En réalité les représentations tout public furent pleines dès la 1ere édition et cela n’allaient jamais cesser passant d’une fréquentation de 3000 spectateurs en 2008 à 30 000 en 10 ans.

 Depuis, KOMIDI est devenue un peu plus qu’un festival car outre le festival nous accueillons artistes locaux et venus d’Europe en période de résidence à la fois pour aider les artistes autant qu’on le peut dans leur processus créatif ainsi certains spectacles présentés au festival d’Avignon ont finalisé leur création à Komidi je pense par exemple à « Au nom du pèze » avec Christophe de Mareuil et une mise en scène d’Anne Bouvier. On peut également citer,  la compagnie Interface  avec laquelle nous avons engagé un processus de collaboration sur plusieurs années que nous avons appelé « Les balcon du ciel ». Cette compagnie est venue en résidence terminer sa création de « Vive la vie »  à la Réunion en incorporant également des artistes réunionnais à la distribution du spectacle qui fut ensuite joué au théâtre du Balcon à Avignon.

Comment s’est bâtie la notoriété du festival ?
Tout d’abord il faut se souvenir de nos premiers pas et par là rendre hommage à une compagnie en particulier et aux artistes que nous avons accueillis en général. En 2008 nous avions organisé notre premier festival constitué de troupes amateurs et d’une compagnie professionnelle de la Réunion. Devant le succès de la première édition nous décidons d’aller à Avignon afin d’essayer de convaincre des compagnies professionnelles de venir se produire sur nos planches avec rien d’autre à leur proposer que notre enthousiasme, envie de faire quelque chose d’important : apporter le théâtre là où il était inconnu et pour une population qui en était exclue. Nos conditions étaient et sont toujours assez minimalistes aussi au sein même de notre association personne ne croyait une seule seconde que des artistes professionnels métropolitains accepteraient de venir si loin pour si peu. Qu’à cela ne tienne nous y allons et certainement que si la première compagnie que nous avons vu au festival d’Avignon nous avait éconduit le festival n’aurait peut-être pas connu le succès qu’il connait. Or la première compagnie venue depuis plusieurs fois était la compagnie Quivapiano et Stéphanie Marino et Nicolas Devort ont été séduit par ce projet de rendre le théâtre accessible à tous. Ils ont immédiatement acceptés et cela fut pour nous le signal que notre projet pouvait intéresser les artistes. C’est pourquoi, il faut d’abord rendre hommage aux artistes car la notoriété du festival tient en plusieurs points mais le premier et le plus important provient de l’adhésion des artistes à cette belle idée d’apporter  le spectacle vivant dans une région éloignée et en difficulté sociale.

Puisque les artistes nous faisait ce très beau cadeau d’accepter notre invitation à se produire dans le Sud de la Réunion, il était fondamental de leur rendre ce qu’ils nous apportaient. L’idée était alors  de faire en sorte qu’ils prennent le plus de plaisir et ne regrette pas d’avoir accepté et même qu’ils aient envie de revenir. Pour cela nous nous sommes appuyés  sur quelques points forts : Un public curieux,  avec des salles pleines et des spectacles qui se vendent en quelques minutes seulement. Un public désireux de découvrir les genres les plus variés, ne cachant pas ses émotions si bien que les artistes prennent beaucoup de plaisir sur scène où ils sont portés par une belle énergie.

Ensuite notre deuxième atout fut la chaleur de l’accueil des réunionnais qui fait que les artistes se sentent très bien chez nous notamment lors des soirées après les représentations durant lesquelles nous leur faisons découvrir à la fois un art de vivre créole avec des repas traditionnel préparés au feu de bois, des multitude de « rhums arrangés » préparés spécialement pour le festival et des groupes de musique qui leur font découvrir la musique réunionnaise.

 Enfin la beauté de l’île de la Réunion est aussi un atout puisque pendant 15 jours lorsque les artistes sont en relâche ils découvrent les multiples charmes de notre île dont l’essentiel du territoire est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Ainsi à mesure que toujours plus d’artistes voulaient venir attirés par l’écho positif de ceux qui étaient venus, le public se manifestait toujours plus nombreux et toujours plus demandeur si bien que les communes voisines de Saint Joseph nous sollicitèrent pour que nous puissions répondre à cette attente venue à la fois du monde artistique et des spectateurs si bien que l’on est passé d’un festival en 2008 qui proposait 30 représentation au total sur une commune pour 3000 spectateurs à un festival 2019 qui s’étend désormais sur 7 communes 12 scènes 170 représentations pour un total de spectateurs attendus de 34 800.

Comment s’articule-t-il ?
Le festival s’articule autour de deux festivals en réalité puisque pour chaque représentation scolaire une représentation tout public se déroule le soir. Les représentations scolaires sont totalement gratuites pour les classes qui s’inscrivent de la maternelle au lycée. Le soir les représentations sont payantes mais afin de faire venir au théâtre un public qui souvent s’autocensure un dispositif spécial a été créée le Komidi Zeop Ensemb (en créole) qui consiste à permettre aux élèves des écoles, collèges et lycées d’acheter jusqu’à 40% de notre jauge totale au tarif de 1 euro des places pour inviter leurs parents et ainsi faire une sortie théâtre en famille. Afin de ne pas exclure également les familles modestes qui n’ont pas d’enfants scolarisés et ne peuvent donc disposer du dispositiz « KOMIDI-ZEOP-ENSEMB » les billets sont vendus au tarif de 4 euros et 10% de la jauge est conservée pour la vente sur place directement dans les salles au tarif de 2 euros. Ce dispositif est un énorme succès puisque nous limitons volontairement le dispositif « KOMIDI-ZEOP-ENSEMB » à 40% car nous pourrions vendre ainsi la totalité des places tant la demande est exponentielle de même lors de la vente sur notre site des 50% de notre jauge au tarif de 4 euros les 9000 billets sont vendus en quelques minutes. Ainsi le festival est un énorme succès populaire, un public nombreux avec un fort brassage social prend désormais plaisir à se rendre dans nos salles.

Quels types de spectacles sont présentés ?
L’idée d’un festival est justement d’ouvrir le spectre le plus large possible. Ainsi bien entendu nous proposons de nombreux spectacles jeunes publics mais ensuite nous essayons de présenter le plus de genres possible et le plus de créations possible.

L’idée que nous nous faisons d’un festival est de permettre au public de faire des rencontres, d’être surpris et surtout de naviguer durant une édition ou au fil des éditions ainsi par exemple une association d’un petit village perché dans les hauteurs de St Joseph avait pris l’habitude de faire une sortie collective sur une des comédies que nous programmons. Cette association a ensuite commencé par réserver plusieurs spectacles au lieu d’un seul mais toujours des comédies. Puis avec le temps les adhérents de cette association ont souhaités réserver autre chose que des comédies voulant désormais découvrir de nouveaux genres théâtraux.

Ce festival se nourrit-il de compagnies venant exclusivement de l’Hexagone et/ou a-t-il permis l’éclosion de compagnies théâtrales locales ?
Non nous aimons dire que nous essayons de faire se rencontrer parmi ce qui se fait de mieux au niveau de la scène nationale comme en atteste la venue de Adieu Mr Haffmann  ayant reçu plusieurs Molières en 2018 avec ce qui se fait de mieux au niveau de la scène locale. Ainsi pour l’édition 2019 43 compagnies seront présentes et 14 d’entre-elles sont réunionnaises. Nous essayons modestement de faire en sorte que les artistes de la Réunion puissent rencontrer les artistes venus d’ailleurs ainsi des collaborations sont nées par exemple la compagnie suisse interface est venue en résidence créer le spectacle qu’elle a présenté lors du festival d’Avignon 2018 au théâtre du balcon et durant sa résidence a travaillé avec des artistes réunionnais qui sont ensuite partis faire le festival d’Avignon.

De même nous travaillons actuellement avec une fondation « La Réunion des talents » qui nous aide à programmer les compagnies réunionnaises mais plus largement l’objectif est d’aider les compagnies réunionnaises d’abord à présenter leur talent et leur créativité et elles en ont énormément et ensuite les aider à mieux se faire connaitre notamment dans l’hexagone.

Selon vous, que manque-t-il encore à ce festival ?
Comme nous invitons 12 600 élèves de la maternelle au lycée à découvrir des spectacles de théâtre mais aussi à le pratiquer dans le cadre d’ateliers ou de résidences, comme nous proposons plus de 20 000 places de théâtre à un tarif très modeste faisant en sorte que l’argent ne soit plus une barrière pour accéder au théâtre. Nous espérons que cette belle idée du théâtre pour tous notamment pour les réunionnais du Sud de l’île puisse continuer à vivre et pour cela d’être mieux soutenu. Or  nos financements sont en baisse comme c’est le cas hélas pour l’ensemble des manifestations culturelles. Bien entendu avoir  un peu plus de moyens serait l’idéal mais surtout au delà  des moyens ce dont nous avons surtout besoin c’est davantage de « sécurisation » et une « pérennisation » du budget  par le biais de conventionnements par exemple ce qui nous permettrait de nous projeter sur plusieurs années.

Propos recueillis par Laurent Schteiner

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