Les Solitaires Intempestifs ont récemment publié un ouvrage très complet sur les notes de Beckett relatives à  la philosophie d’Arnold Geulincx (XVII e siècle). En s’appuyant sur cette philosophie, Beckett entreprit, à travers ces notes, de dégager sa part d’influence sur l’ensemble de son œuvre.

 

A travers son ouvrage « Ethique », Geulincx célèbre le dualisme de l’esprit et du corps. Cette rupture du sujet et du monde convoque Dieu pour bien dissocier l’extériorité de l’esprit. Beckett utilise cette forme de pensée en introduisant dans ses œuvres l’impuissance de l’homme, relayée par l’ignorance humaine (Seul Dieu sait). C’est ainsi que les personnages beckettiens ignorent tout de leur condition et de leur situation. Là où Geulincx s’attache à une description de la réalité éternelle, il prend appui sur la Raison (garant contre tout ramollissement du corps et sentimentalité passive).

Les analogies de Geulincx transpirent d’une radicalité matinée parfois d’incongruité :

« La Raison est représentée de manière tout érotique comme une jeune femme nue ; croire que je suis l’auteur des mouvements de mon corps est aussi présomptueux que de me réclamer l’auteur de l’Iliade ou le bâtisseur des pyramides ; mon impuissance me rend plus faible…au monde et si mon corps et mon esprit sont de faible valeur, je devrai me faire tailleur. »(Geulincx).

 

Beckett assimile dans son œuvre le conflit entre une extériorité, voire l’indifférence et l’attention. Cette dichotomie constitue la pierre angulaire des écrits de Beckett. Les dispositifs scéniques procédant de logiques d’insensibilité « à la vie » génèrent parfois de la torture à ses personnages.

 

Afin d’éviter tout caractère exhaustif dans cette fiche de lecture, nous choisissons d’évoquer qu’un petit nombre de spécialistes de Beckett en la personne de Rupert Wood, d’Anthony Uhlman ou encore de Matthew Feldman.

Rupert Wood détermine un axe de rapprochement entre l’œuvre littéraire de Beckett et celle de Geulincx. Ainsi l’image que l’esprit de Murphy se fait de lui-même, son comportement et notamment sa quête du rien renvoient à un ascétisme mystique commun à tous les héros beckettien.

Anthony Uhlman défend l’idée de l’apport d’un rocking chair ou berceuse présent dans l’œuvre de Beckett, un peu comme celle du berceau chez Geulincx. Une relation de notre volonté avec celle de Dieu. Pour Geulincx, l’homme ne comprend pas comment les mouvements de notre corps. Mais le symbole de la berceuse chez Beckett, tantôt endroit de réconfort pour le corps et de paix pour l’esprit. Paradoxalement, elle est associée également à la mort. 

Matthew Feldman, quant à lui, met en exergue le caractère paradoxalement inévitable de l’échec entrevu par Beckett chez Geulincx. Le ressenti des personnages « désanthropologisés » chez Beckett confine à la souffrance  ou la recherche chez le philosophe d’une intelligence chez l’homme.

Cet ouvrage, dont l’érudition jette un voile nouveau sur l’interpénétration de la philosophie de Geulincx dans l’œuvre « Beckettienne » en marge de l’influence de Joyce propose quelques pistes afin de découvrir cet immense auteur irlandais.

 

Laurent Schteiner

 

Notes de Beckett sur Geulincx

Suivi des contributions de Thomas Dommange, Matthew Feldman, David Tucker, Anthony Uhlman et Rupert Wood.

 

Pris : 23 €

ISBN : 978-2-84681-350-1

 

Les Solitaires Intempestifs

1, rue Gay-Lussac

25000 Besançon

www.solitairesintempestifs.com

 
 

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