A l’occasion du festival d’Automne Julien Gosselin est de retour avec une nouvelle adaptation d’ouvrage colossal de la littérature mondiale « 2666 » du chilien Roberto Bolaño. Programmé au dernier festival d’Avignon l’Å“uvre théâtrale se révèle être toute aussi monumentale que le roman, la totalité du spectacle durant 11h. Retour sur une expérience hors du commun actuellement aux Ateliers Berthier de l’Odéon !

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Julien Gosselin s’était déjà illustré par le passé dans ce même théâtre de l’Odéon avec une adaptation toute aussi audacieuse à savoir celle du célèbre roman de Michel Houellebecq « Les particules élémentaires ». Ici, outre la même contrainte de faire résonner la puissance littéraire et la langue particulière de ce nouveau matériau sur un plateau de théâtre « 2666 » s’avère également prométhéen dans sa forme et sa longueur, ce qui en fit indéniablement une des expériences les plus attendues du dernier festival d’Avignon. Roman-fleuve posthume et inachevé du chilien Roberto Bolaño « 2666 » est en effet totalement impossible à résumer, ces quelques 1353 pages entraînant le lecteur dans des contrées aussi diverses que la ville mystérieuse de Santa Teresa au Mexique ou les grandes capitales européennes, et couvrant un espace-temps flou tout aussi élastique. Difficile de prime abord de comprendre où l’on va. Ce roman gigantesque est composé de 5 parties distinctes totalement respectées dans la mise en scène de Julien Gosselin. Il n’est cependant pas dommageable pour le spectateur de ne pas le connaître en amont; assister à une création de la Compagnie Si vous pouviez lécher mon cÅ“ur est à plusieurs titres un voyage, un abandon, une expérience presque métaphysique d’ou l’on ressort hébété, épuisé, éprouvé et quelque peu perdu. Cependant les images, les sons, et cette immersion aux confins de la littérature persistent longtemps après la fin du spectacle, faisant de « 2666 » un souvenir qui impacte le corps et l’esprit, une marque au fer brûlante et inoubliable.

Ce qui interpelle le plus dans le travail de Julien Gosselin c’est cette faculté assez unique de traiter la nature même de l’objet littéraire non pas uniquement dans son adaptation mais dans la globalité du spectacle. C’est véritablement de littérature dont il est question, sujet dans le sujet puisque le roman tourne autour du destin d’un mystérieux écrivain. Ainsi la scénographie est tentaculaire à l’image d’un cerveau qui traiterait les informations d’un livre à mesure qu’il les découvre. Tous les sens sont mis en éveil tandis que la musique quasi-permanente soutient et décuple le rythme lancinant des mots, les mots d’un monde globalisé d’ailleurs tant il est rare d’entendre au théâtre autant de langues différentes en un seul spectacle, anglais, espagnol, allemand ou français se mélangent ici dans une fluidité terriblement moderne. L’espace scénique est en mouvement constant grâce à trois immenses cubes de verre, les possibilités de lieu et de temps sont ainsi démultipliées. La vidéo enfin, utilisée ici avec maestria, fait naître sous nos yeux une nouvelle dimension, un nouveau point de vue donnant lieu à des séquences bouleversantes dotée d’une esthétique cinématographique chiadée. L’objet livre est ainsi recrée au cÅ“ur de l’espace théâtre dans toute sa foisonnance, tout son infini. Gosselin laisse à chacun de ses spectateurs la possibilité de projeter son imaginaire, les acteurs ne seront pas dans un théâtre d’incarnation mais tendent plutôt à faire éclater la langue de Bolaño dans sa vérité crue. Crus, nus, à vif, ils le sont ces personnages dont les chemins tâtonnants semblent guidés par une force obscure, un mal omniprésent que l’on sent roder. Dans ce spectacle polymorphe et dont par endroits l’on peine à saisir le sens, tout semble  pourtant converger vers un point de souffrance ultime, un mal absolu, une apocalypse certaine. A l’image de ce quatrième tableau « La partie des crimes » où l’on assiste hébété a l’énumération insupportable des victimes et de leurs sévices dans la ville imaginaire de Santa Teresa, le spectacle cherche chez nous cet état de transe étrange et indéfinissable. Sidérant et follement stimulant.

Audrey Jean

« 2666 » d’après 2666 de Roberto Bolaño 
Mise en scène de Julien Gosselin 

Avec : Rémi Alexandre, Guillaume Bachelé, Adama Diop, Joseph Drouet, Denis Eyriey, Antoine Ferron, Noémie Gantier, Carine Goron, Alexandre Lecroc-Lecerf, Frédéric Leidgens, Caroline Mounier, Victoria Quesnel et Tiphaine Raffier

Scénographie : Hubert Colas
Creation musicale : Rémi Alexandre et Gullaume Bachelé

Jusqu’au 16 Octobre
En intégrale les week-ends ou en 2 soirées consécutives les mercredis et jeudis 
Ateliers Berthier 
Théâtre de l’Odéon 
 

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