Alexandra Tobelaim nous a présenté récemment son dernier spectacle Abysses de Davide Enia sur la tragédie quotidienne que vit l’île de Lampedusa. Ce spectacle intime et bouleversant dresse un constat sans appel sur l’abandon, par les nations, de ces migrants désespérés qui tentent de gagner Lampedusa à bord d’embarcations de fortune. La catastrophe humanitaire qui se joue là-bas au regard du dénuement des moyens humains engagés traduit l’impuissance des autorités locales à sauver le plus grand nombre.

Davide Enia (Solal Bouloudnine) accompagné d’une guitariste (Claire Vailler) s’avance sur scène et entreprend une narration qui devient au fil de la pièce un texte choral où la vie à Lampedusa prend forme sous nos yeux. A cette douleur collective ressentie et vécue, Davide y ajoute celle d’une famille dispersée mais solidaire. Son père est muet. En fait, il est plutôt taiseux. Ce trait de caractère remarquable devient au fil du temps une évidence. Parler pour quoi ? Il n’y a pas de mots pour décrire l’indicible. Chaque jour sur l’île apporte son lot de morts et d’horreurs. A Lampedusa, la vie pour les sauveteurs devient un outil de travail. S’entrainer à sauver des vies dans les vagues, jeter à bord les migrants qui se noyent, balayer du regard la mer à la recherche d’éventuels survivants et percevoir de faibles voix dans le roulis de la mer. Une course contre la mort est engagée. Les bateaux de pêche réquisitionnées pour sauver des vie sont immobilisés près d’un mois au grand dam des pêcheurs. Les femmes secourues arrivent parfois enceintes sur l’ile après avoir été violées sur ces frêles embarcations. Le dénuement de ces êtres humains dépassent l’entendement.

Davide Enia donne la parole à tous les artisans de ces sauvetages. Leurs voix emplissent le théâtre débordant de générosité et de coeur.  Nous sommes sur Lampedusa avec lui, impuissants, écÅ“urés, la gorge serrée… Son oncle sur le continent qui se bat contre un méchant cancer l’encourage à distance dans sa croisade humaniste. Jusqu’où peut-il aller ainsi sans devenir à son tour « muet » comme son père. Il faut parler, raconter l’indicible. Car cette histoire est celle du silence face à l’horreur mais également celui des nations qui ferment les yeux se repliant dans un nationalisme abject. Claire Vailler accompagne les respirations de Solal Bouloudnine avec des chansons en italien ou en sicilien apportant une atmosphère particulière collant à la réalité du propos. Solal Bouloudnine nous hypnotise à travers ce récit de Davide Enia en nous proposant une très belle performance. 

Raconter le factuel revient à dénoncer le drame qui se noue à Lampedusa. Et les mots prennent ici un sens, une force qui nous percute de plein fouet. Cette parole devient décisive face au gouffre qui se dérobe sous nos pieds, à ces abysses prêts à nous avaler…

Laurent Schteiner

Abysses
Texte : Davide Enia
Mise en scène : Alexandra Tobelaim
Distribution : Solal Bouloudnine et Claire Vailler (Guitare et voix)
© Photo Matthieu Edet

Share This