Après avoir été créé en janvier 2017, EN MIETTES revient du 19 au 21 novembre dans une nouvelle version intégrant la suite des événements, ouvrant ainsi à Camille de nouvelles perspectives d’avenir. Retour sur notre précédente critique.

Dans une mise en scène de Laura Mariani « En miettes » est un spectacle original, résultant de la rencontre de deux textes de Ionesco, une fable nouvelle mêlant l’essence de « Jacques ou la soumission » à des extraits de « Journal en miettes ». Un voyage envoûtant aux accents philosophiques qui entraîne le spectateur dans la spirale douce et cruelle de l’enfance.

« Il y a l’âge d’or : c’est l’âge de l’enfance, de l’ignorance ; dès que l’on sait que l’on va mourir, l’enfance est terminée. Comme je l’ai dit, elle a fini pour
moi très tôt. On est donc adulte à sept ans. » Journal en miettes – Eugène Ionesco

Camille ne dit rien. Camille ne fait rien. il n’a pas de goût, pas de forme, pas d’envie. Il ne tient même pas debout. Face à des parents désemparés par son apathie, face à un psychologue tentant en vain de diagnostiquer son mal-être, nous comprenons que Camille est simplement différent. Il n’aura pas les désirs que le monde lui impose, il n’aura pas les pensées qu’il faut avoir, il sera lui et c’est déjà pas mal. La métamorphose commence, il faut muer, muter, ramasser et coller les morceaux, assembler les pièces de son puzzle, encore et encore jusqu’à trouver l’équilibre. Et le temps de l’acceptation est long, difficile, âpre et délicieux à la fois.

Laura Mariani s’empare avec intelligence de l’écriture délicate de Ionesco. Là où tant connaissent son illustre talent pour l’absurde elle met en lumière ici une facette plus profonde de l’écrivain, plus psychologique au bon sens du terme, réussissant à maintenir tout de même une certaine forme d’abstraction dans le style. Par un redoutable travail d’adaptation la metteure en scène croise deux textes, l’emblématique « Jacques ou la soumission » et le journal plus personnel d’Eugène Ionesco. Elle dessine alors les contours d’un personnage principal troublant et attachant comme autant de versions d’un Ionesco en transformation, en chantier, en miettes. Laura Mariani y inscrit surtout un style visuel puissant, bien à elle, elle convoque de très belles images, un univers sensible et tendre, notamment par le biais d’une scénographie particulièrement réussie à l’image de ces couches superposées de papier peint, métaphore du temps qui passe et qui façonne à l’infini les personnalités. En croisant les paroles des deux protagonistes, à savoir Camille et le vieux, elle crée également de toutes pièces un espace-temps flottant, où les repères sont brouillés et mouvants permettant une rencontre perturbante entre passé et présent. L’interprétation est particulièrement soignée, le spectacle se distingue avant tout par la qualité de sa distribution. Sur le fil, avec beaucoup de délicatesse et faisant preuve d’un jeu tout en nuances les acteurs de la compagnie La pièce montée rendent un hommage vibrant à cet état étrange de la fin de l’enfance, à cette peur organique de grandir, à l’angoisse béante face à la nécessité ou l’obligation d’être heureux. Enfin, incontestablement, Eugène Ionesco quant à lui n’a pas fini de dévoiler ses mystères.

Audrey Jean

« En miettes » 
Librement adapté de « Jacques ou la soumission », « L’avenir est dans les oeufs » et « Journal en miettes »

Adaptation et Mise en scène Laura Mariani
Dramaturgie Floriane Toussaint
Scénographie Alissa Maestracci
Création lumières Sébastien Coppin
Création sonore Stéphane Cagnart
Avec : Anthony Binet, Ariane Blaise, Emilien Janneteau, Sylvain Porcher, Vincent Remoissenet et Coralie Russier

Théâtre de Belleville 
Dimanche 19 à 20h30
Lundi 20 et mardi 21 à 21h15

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