Cette pièce, tirée de l’œuvre de Jean-Luc Lagarce  Le Pays lointain qui se joue actuellement au théâtre de la Tempête, est remarquable. Elle reprend les thèmes chers à Jean-Luc Lagarce qui s’est éteint en 1995, quinze jours après avoir achevé cette pièce.  La mise en scène de Jean-Pierre Garnier affiche une très belle mise en espace de souvenirs convoqués comme des fragments de peau qui se détachent peu à peu rendant à son auteur toute la fulgurance d’un propos pasolinien ou issu de l’univers d’un Fassbinder qui ne l’aurait pas renié.

« C’est le récit de ce qu’on voulut être et qu’on ne fut pas, le récit de ce qu’on vit nous échapper. Et la douleur, oui. La douleur mais encore, peut-être la sérénité de l’apaisement, le regard paisible porté sur soi-même – à quoi bon ? – au bout du compte. » (J-L. Lagarce).

Fragments

Louis ne dispose plus que de quelques semaines de vie. La maladie qui le ronge nous renvoie aux années Sida qui décimèrent des vies et déchirèrent des familles entières. Louis décide de revenir au sein de sa famille qu’il n’avait pas vue depuis très longtemps. Le but avoué est de se réconcilier, de régler des situations incomprises, et enfin lever le voile sur sa maladie. Il est accompagné par un ami, son « ami de longue date ». Mais réconcilier l’irréconciliable s’avère difficile. Les antagonismes sont trop forts et les traces causées par son départ vécu comme un abandon ont laissé des marques indélébiles. Sa petite sœur Suzanne ne comprend toujours pas pourquoi ce grand frère est parti. Son frère cadet Antoine, face à cette absence et à son silence ne peut que s’interroger sur les causes de son départ en émettant ses propres hypothèses basées elles-mêmes sur des tentatives d’interprétations.

« la famille qu’on voulut se choisir, la famille  secrète, celle-là qui parfois ne sait même pas qu’on se la construisit sans bruit. L’arrangement…Le retour. La décision de revenir. Et ce repas encore avec ces deux familles, celle-là d’origine et celle-là construite et les Morts encore, se promenant, ce dimanche calme, parmi les paisibles tricheries des vivants. (J-L. Lagarce).

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Louis a vécu, enchainant les amants et se renfermant dans sa solitude. Incapable de donner, il se contentait de donner des nouvelles de pays lointains écrivant toujours les mêmes phrases, paralysé par le verbe. Louis convoque ses propres fantômes, ses amants aujourd’hui disparus, ses souvenirs, ses photos. Tout se mélange dans cette réunion de famille où les lambeaux de vie de Louis interpellent le public. Le rythme est présent dans cette belle mise en scène où les comédiens déplacent des éléments de scénographie très rapidement imprimant ainsi une cadence qui sied au déroulement de la pièce. La musique et les chansons ponctuent certaines scènes avec à-propos. Cette pièce apparait plus dense qu’elle n’y parait car elle véhicule d’autres thèmes existentiels comme l’enfance perdue par exemple.

« On danse, c’est la fin de l’après-midi. On a poussé les tables. louis est assis sur une chaise et il regarde. » (J-L.Lagarce).

Cette pièce très fouillée est une belle réussite. Un spectacle où l’âme de Jean-Luc Lagarce est présente de bout en bout.

 

Laurent Schteiner

 

Fragment d’un pays lointain de Jean-Luc Lagarce

Mise en scène de Jean-Pierre Garnier

Avec Maxime le Gac Olanié, Arthur Verret, Makita Samba, Anne Loiret, Mathieu Métral, Camille Bernon, Loulou Hanssen, Inga Koller, Benjamin Guillet, Harrison Arevalo et Sophie Van Everdingen

  • Scénographie et lumières : Yves Collet
  • Dramaturgie : Léo Cohen Paperman
  • Collaboration artistique : Nais El Fassi
  • Assistanat à la scénographie : Franck Lagaroje
  • Image de scène : Mathieu Mullot
  • Vidéaste : Pierre Davy
  • Création sonore : Sophie Van Everdingen, Inga Koller et Benjamin Guillet
  • Régie : Laurent Cupif et Michaël Bennoun
  • Stagiaire habilleuse : Marine Rogotti
  • © Pierre Davy

Théâtre de la Tempête
Cartoucherie, route du Champ-de-manœuvre – 75012 Paris
Résa : 01 43 28 36 36

www.la-tempete.com

 
 

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