Marc Lainé porte à la scène l’écriture inimitable de Jack London en ce moment au Studio Théâtre de la Comédie française. Une forme courte « Construire un feu » qui revêt ici grâce aux trois interprètes une intensité dont il est difficile de se détacher, d’autant plus que la scénographie alternant vidéos et animations de maquettes place le spectacle au coeur d’une esthétique énigmatique et ludique particulièrement réussie.

Est-il fou cet homme ? Juste inconscient, ou trop sûr de lui ? Il marche seul dans la neige, un chien dans ses pas. Il fait froid évidemment, tout autour c’est le Yukon mais l’homme ne se doute pas que la température est bien au-delà de cinquante degrés en dessous de zéro. Il est malin l’homme, il se dit bien que quand même, il fait plus froid que d’habitude alors il se ménage, il fait attention, prenant bien garde à ne pas laisser engourdir ses membres il garde le rythme et marche d’un bon pas. Peut-être devient-il présomptueux, peut-être oublie-t-il une seconde d’être sur ses gardes, la glace se brise sous ses pieds, l’eau déjà a transpercé ses vêtements et touche sa peau, menaçant de tout geler. Maintenant le temps presse, construire un feu est sa seule issue.

Il y a évidemment la force évocatrice de ces grands espaces enneigés, le souffle épique de l’aventure face à la puissante nature, le courage ou l’inconscience de ces hommes du grand froid.  Comme pour créer un paradoxe entre la taille de la salle et l’immensité du Yukon, Marc Lainé s’aide de la vidéo pour multiplier les points de vue du récit, gros plans fixes sur le visage de l’homme sûr de lui puis en proie aux premiers doutes, cadrages plus larges pour représenter l’immensité inquiétante environnante, ou même parfois prise de vue active, mouvante et plus artisanale lorsque le récit se place du point de vue du chien. En conjuguant la vidéo et l’utilisation de maquettes à petite échelle Marc Lainé joue avec l’illusion du théâtre et convoque la puissance d’évocation de l’écriture de London. La mise en scène est fluide, alternant avec brio les changements de narration et démultipliant les angles à l’instar du champ d’imagination qui s’ouvre au lecteur dès les premières pages d’un bon roman.

Marc Lainé peut également compter sur ses acteurs pour faire vivre avec intensité cette nouvelle trépidante de Jack London. Alexandre Pavloff, Pierre-Louis Calixte et Nâzim Boudjenah seront les voix et les visages de ce récit fatal. Nâzim Boudjenah est l’homme, taiseux, en souffrance face au froid polaire qui le glace jusqu’aux mâchoires tandis qu’Alexandre Pavloff et Pierre-Louis Calixte jouent la distanciation en prenant en charge la narration et la parole du chien observateur. Le trio joue de nuances pour faire vivre sur scène la littérature, accompagnant de leurs énergies le crescendo dramatique et la mort qui approche lentement. Captivante la nouvelle de Jack London se construit petit à petit grâce à leurs trois voix, tel un feu fait de brindilles auxquelles on ajoute de plus en plus de matière, elle monte subtilement en intensité. Les interprètes nourrissent la flamme avec générosité, ensemble ils construisent le feu puis résolus et humbles, ils le regardent inéluctablement mourir.

Audrey Jean

« Construire un feu » de Jack London 
Mise en scène de Marc Lainé

Avec Alexandre Pavloff, Pierre-Louis Calixte et Nazim Boudjenah

Jusqu’au 21 Octobre au Studio Théâtre de La Comédie Française 

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