Jean-Claude Fall s’approprie avec brio l’écriture de Falk Richter et en propose une vision esthétiquement chiadée, une proposition directe et frontale pour interpeller sans détour le spectateur. « Ivresse(s) » naît d’un montage de différents textes de Richter et dessine parfaitement la structure et l’essence fondamentale de son oeuvre. Cynique, âpre parfois comme drôle et énergisant ce spectacle vous entraîne dans un lieu de désespoir, une dystopie implacable où gronde pourtant la résistance à venir.

Falk Richter est un auteur de son temps, ancré dans des problématiques contemporaines et qui assiste impuissant à la répétition inéluctable des faillites d’un système financier prédominant. Partant du constat pessimiste que nous sommes globalement déjà gangrenés jusqu’à l’os par l’ultra-libéralisme carnassier, que tout ce qui nous constitue en tant qu’humain est pour ainsi dire sous influence, il décortique et démonte méticuleusement les tentatives avortées de rebellions face au dit-oppresseur. Le monde est fou, chaotique et tout est pourri. Simple, efficace et désespérant. Pourtant entre ces lignes sombres et dotées d’un cynisme profond se lit encore, malgré tout la possibilité d’une résistance, infime, presque inexistante, microscopique mais existante. Peut-être faudra-t-il alors abandonner l’idée même de poursuivre un objectif, le concept de croissance pour qu’elle grandisse ?  Faudra-t-il d’abord accepter de tout perdre, aller au bout de ce système sclérosant, cette machinerie à bout de souffle pour espérer une renaissance ? Jean-Claude Fall offre avant tout ici un spectacle plastique passionnant, un théâtre presque philosophique et proche de la performance servi par des acteurs engagés. C’est une forme désolée, chaotique, faite de bricolages et de tentatives artisanales pour un résultat esthétique particulièrement convaincant, illustrant avec maestria ce sentiment mêlé de colère et d’épuisement. Le plateau est submergé de papiers, de bâches plastiques qui s’animeront par la suite grâce à la vidéo-projection. Les cris de colère se succèdent, tout comme les renoncements ou encore les appels à la révolution qu’elle soit amoureuse, sexuelle, professionnelle, toutes ces paroles mises bout à bout comme une cartographie clinique d’une société guidée par le dieu Économie. Le discours de Falk Richter interpelle, exaspère, détricote, libère et dit le monde. Un monde triste et fou certes mais c’est le nôtre.

Audrey Jean

« Ivresse(s) » montage de la pièce « Ivresse » et d’extraits de « Play Loud » et « Protect me » 
Textes de Falk Richter 

Texte français Anne Monfort
Mise en scène de Jean-Claude Fall

Avec Roxane Borgna, Jean-Marie Deboffe, Jean-Claude Fall, Isabelle Fürst, Paul-Frederic Manolis, Nolwenn Peterschmitt, Laurent Rojol et Alex Selmane

Théâtre de la Tempête jusqu’au 17 Décembre 
Salle Copi 
du mardi au samedi à 20H30
Dimanche à 16h30 

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