La programmation du théâtre Paris-Villette par son originalité et son exigence nous séduit une fois de plus. La compagnie Marizibill sous la houlette de Cyrille Louge y présente en effet actuellement « Luce » une adaptation du texte de Jeanne Benameur « Les demeurés ». Une écriture visuelle servie au plateau par des acteurs manipulateurs de marionnettes, un étrange et hypnotisant ballet qui traite de manière extrêmement sensible la thématique de la différence et de l’isolement qui en découle.

Luce et sa maman vivent en symbiose, presque attachée l’une à l’autre physiquement. Elles évoluent ainsi dans un monde cotonneux et clos, dans la douceur chaude et étriquée de la maison. Mais Luce doit aller à l’école et c’est un tout un monde de possibles qui s’ouvre alors à elle, un monde qu’elle n’imaginait pas dessiné à grands coups de couleurs par une institutrice bienveillante et entêtée. Tiraillée entre les deux femmes, Luce explore son intériorité, se questionne, se cherche pour qu’enfin une petite Luce, avide de connaissances, éclose et vive son propre chemin.

C’est un geste d’une poésie rare que Cyrille Louge et Francesca Testi nous offrent avec « Luce », un travail tout en sensibilité. Difficilement descriptible le résultat tient d’une danse fascinante des corps et des objets, un pas de trois qui bouleverse profondément l’audience, car chacun aura sans aucun doute, à un moment expérimenté la sensation  vertigineuse de l’ouverture au monde. La présence et le mouvement de ces marionnettes étranges hypnotisent le spectateur, petit ou grand, le temps s’arrête face à ce lent ballet mélancolique, une impression renforcée par la magnifique création vidéo et sonore. On économise le mot, très peu de texte en effet mais des images inoubliables, les visages des deux marionnettes disent à elles seules toute la peur de Luce face au nouveau monde qui s’ouvre à elle, toute la peur de la mère de laisser son enfant vivre en dehors d’elle, la peur de l’autre, la peur d’exister. La scénographie est toute aussi épurée et efficace grâce à l’utilisation d’un plateau tournant la symbolique de la quête initiatique est alors sublimée. Enfin la précision des interprètes est évidemment à saluer, une interprétation en dentelle qui anime les corps jusqu’au bout des orteils. Un remarquable spectacle jeune public en somme, à ne pas manquer pour cette deuxième semaine de vacances scolaires.

Audrey Jean

« Luce » écriture et mise en scène Cyrille Louge
Librement inspiré du roman « Les demeurés » de Jeanne Benameur

Collaboration artistique Francesca Testi
Interprétation Sophie Bezard, Mathilde Chabot et Sonia Enquin
Conception des marionnettes Francesca Testi
Scénographie Cyrille Louge et Sandrine Lamblin

Théâtre Paris Villette jusqu’au 5 mai 

Jeudi 2, vendredi 3 mai à 14h30
Dimanche 5 mai à 16h

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