Le TGP nous propose actuellement la double inconstance (ou presque) de Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux dans une mise en scène hallucinante de Jean-Michel Rabeux. Cassant les codes et renversant les valeurs de ce classique, Jean-Michel Rabeux nous offre ici un spectacle  moderne et cynique. Prenant le contre-pied d’une mise en scène traditionnelle, il nous présente une version noire et audacieuse de ce chef d’œuvre de Marivaux.

Jean-Michel Rabeux se place en droite ligne de Marivaux en affichant les couleurs de la Commedia de l’Arte en travestissant les personnages. Dans un décor de palais amovible, Arlequin et Sylvia s’aiment d’un amour fort et passionné. Cependant le Prince qui convoite ardemment Sylvia la fait enlever. Prisonnière dans son palais, le Prince se faisant passer pour un officier du palais tente de la séduire. Afin de parvenir à ses fins, un stratagème se fait jour afin d’opérer concomitamment une séduction sur Arlequin par l’entremise de Flaminia.

Cette double manipulation machiavélique vise à assujettir ces deux cœurs afin de salir la pureté qui les entoure en anéantissant leur fidélité. Jean-Michel Rabeux met en exergue cette jouissance de domination, cette soif de conquête et de pouvoir. Témoin cet éclat de rire démoniaque de Flaminia à la fin du spectacle couronnant ses efforts et révélant sa part de cynisme.

Mais si le but est clairement défini, il n’en demeure pas moins que le moyen d’y parvenir passe par le corps. Perçu comme une arme apportant un trouble érotique susceptible de faire vaciller n’importe quelle âme, le corps devient l’instrument clé essentiel à l’entreprise. A ce jeu, Jean-Michel Rabeux s’amuse ainsi à démontrer la faiblesse des valeurs humaines.

La pièce ne souffre d’aucun temps mort d’autant que la richesse de la mise en scène surprend sans cesse le spectateur qui goute en même temps cette magnifique langue de Marivaux. Roxane Kasperski, (Flaminia) fait montre d’une grande subtilité dans son jeu nous laissant découvrir peu à peu la noirceur de son âme. Hugo Dillon nous livre un Arlequin ambivalent et insaisissable, véritable feu-follet traversant toutes les émotions de son personnage. Son instabilité crée contre toute attente un chaos final laissant le spectateur totalement interloqué. Morgane Arbez interprète une Sylvia fantasque et attachante qui exprime plusieurs facettes de son talent à travers son jeu et la composition musicale qu’elle signe. Claude Degliame (le Prince) travestie en homme et Christophe Sauger (Trivelin) en femme sont très crédibles et confèrent à leurs personnages une approche différente et plus subtile. Enfin, Aurélia Arto (Lisette, la sÅ“ur de Flaminia), excellente, apporte à son personnage une dose de perversité et de décalage loufoque.  Ce spectacle très riche est à découvrir d’urgence.

Laurent Schteiner
 
Vidéo : https://youtu.be/y6KE7jHjrmY
La double inconstance de MARIVAUX
Adaptation et mise en scène de Jean-Michel RABEUX
Avec Hugo DILLON, Morgane ARBEZ, Roxane KASPERSKI, Claude DEGLIAME, Christophe SAUGER et Aurélia ARTO

  • Décor : Noémie GOUDAL
  • Lumière : Jean-Claude FONKENEL
  • Son : Cédric COLIN
  • Costumes : Jean-Michel RABEUX
  • Assistanat à la mise en scène : Geoffrey COPPINI et Antonin DELOM

Théâtre Gérard Philippe
59 boulevard Jules-Guesde
92200 St Denis
Résa : 01 48 13 70 00
du 3 au 25 mars 2018 du lundi au samedi à 20h, le dimanche à 15h30
relâche le mardi

Share This