C’est pour notre plus grande surprise que la troupe Jolie Môme porte sur la scène de son théâtre La Belle Etoile, La Maladie Blanche de Karel Capek. Connue pour son caractère subversif et engagé, la compagnie s’attaque à cet auteur tchécoslovaque pionnier de la science-fiction, dont le texte daté de 1937, résonne  de façon troublante avec notre société moderne.

Nous sommes dans le courant du siècle dernier. Un virus provenant d’Asie et prénommé par les savants « lèpre de Pékin » fait son apparition. Impossible à guérir, elle se manifeste par une tâche blanche sur l’épiderme et menace la population de plus de 45 ans. Les malades qui en sont victimes sont terrassés en l’espace de quelques semaines. Aucun scientifique n’a trouvé le moyen de venir à bout de la maladie blanche. Aucun, excepté le docteur Bougalen. Il est le seul médecin capable de soigner ce fléau et se refuse à rendre public son remède, avant de l’avoir expérimenté en laboratoire. Tandis que les intellectuels et les  autorités scientifiques discutent à l’envie sur la maladie, Bougalen traite les indigents et entend bien résister à la politique despotique et militariste du Maréchal.

Si cette pièce fait figure d’héritage précieux aujourd’hui, les thèmes et les questions politiques qu’elle soulève demeurent terriblement actuelles. Aussi, présenter au public contemporain de la covid 19, une fable aussi sombre, est un pari risqué. Et pourtant, ce spectacle aux allures de cabaret avec son    esthétique très brechtienne, semble parvenir à embarquer le spectateur qui rit aux éclats face à l’aspect burlesque de certaines situations. Ces moments comiques portés par des comédiens stupéfiants, nous autorisent à prendre de la hauteur et à nourrir une réflexion, sans être accablé par cette histoire criante de vérité. Les personnages secondaires qui gravitent autour des protagonistes, représentent un archétype social, volontairement caricaturé : individus aux tendances hypocondriaques et complotistes, journalistes et hommes politiques superficiels, autorités de santé corrompues… Au milieu de cet environnement décalé et morbide, la présence du Docteur Bougalen détonne. A l’instar de tous ses sujets affolés par la pandémie, il adopte une position réfléchie et pragmatique, bien que radicale. Le jeu placide de son interprète l’illustrant de façon évidente. 

A l’image du texte de l’auteur, la mise en scène de la compagnie Jolie Môme nous offre une lecture très moderne et aboutie de La Maladie Blanche. Cependant certains ressorts comiques peuvent apparaître un tantinet redondant, sans remettre en cause la qualité du spectacle en lui-même. Il livre une réflexion plus que jamais nécessaire sur les dérives fascistes et individualistes que peut prendre une situation pandémique, lorsque la santé publique devient un enjeu de pouvoir. 

Marie-Amélie Lorho

La Maladie Blanche par La Compagnie Jolie Môme

Crédit photo Philippe Caro

Théâtre La Belle Etoile
14 Rue Saint-Just, 93200 Saint-Denis

Téléphone : 01 49 98 39 20

Jusqu’au 5 décembre 2021

 

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