Le Théâtre des Déchargeurs abrite en ce moment un face-à-face tendu entre une femme et son époux, « La Révolte » un texte de 1870 signé Villiers de l’Isle-Adam. Il y est question d’émancipation de la femme, d’idéaux bafoués, de violences ordinaires, tout ce qui détruit progressivement le couple de l’intérieur. Une pièce grinçante qui résonne évidemment tristement avec l’actualité.

Élizabeth est une femme entièrement dévouée à son mari et à son couple, elle tient les comptes de son entreprise florissante depuis plusieurs années, se montre en société uniquement quand c’est nécéssaire et s’efface lorsqu’il faut mettre en lumière son époux, s’occupe parfaitement de leur enfant, et bien d’autres choses. Pour Félix il ne peut de toute façon en être autrement, telle est la réalité d’un mariage à une époque profondément ancrée dans le patriarcat. Pourtant, armée d’un courage mûri depuis longtemps, un soir, Élizabeth solde les comptes. Elle a déterminé le coût de sa libération, amassé de quoi rembourser ce qu’elle considère comme une dette pour avoir le droit de s’émanciper. Il suffira pourtant de considérer ce travail effectué pour son mari gratuitement tous les jours et qui aura indéniablement permis de tripler la richesse de son entreprise. Elle ne peut plus. Rester là, continuer cette mascarade d’amour, ce semblant de famille, renier ses idéaux et ses rêves de jeune femme, elle se fane et s’éteint. Elle ne peut plus. L’explication est houleuse, la force immuable du pouvoir de l’homme sur sa femme est écrasante, pourtant à force de calme et d’aplomb elle s’en va. Elle le quitte, elle se révolte. Puis elle revient. Le spectacle tient avant tout ses promesses en matière d’interprétation, les deux comédiens Maud Wyler et Dimitri Storoge donnent beaucoup d’ampleur et de nuances à ces deux personnages entiers, l’affrontement n’en est que plus jubilatoire et intense. Maud Wyler est particulièrement époustouflante et juste, elle joue avec les mots et le rythme du texte pour en extraire toute son essence avec brio.  La mise en scène de Salomé Broussky est sobre, laissant toute la place aux mots terriblement contemporains de Villiers de l’Isle-Adam ainsi qu’au talent des deux acteurs. Si en son temps le texte avait choqué les moeurs d’une bourgeoisie bien endormie sur ses acquis, aujourd’hui le propos reste malaisant car évidemment toujours réel dans certaines familles. Combien de situations confortables, combien de rêves, d’utopies brisées sous couvert d’une réussite embourgeoisée ? Combien de tentatives avortées pour que les femmes se sentent enfin libres ? Incontestablement ce n’est pas encore la fin de ce combat, gageons que ce spectacle continuera à jouer son rôle et à éclairer les consciences.

Audrey Jean

« La Révolte » De Villiers de l’Isle-Adam
Mise en scène Salome Broussky

Avec Maud Wyler et Dimitri Storoge

Théâtre des Déchargeurs jusqu’au 9 Décembre
Du mardi au samedi à 21h30

 

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