Le spectacle « L’adversaire » récemment joué au Théâtre Paris-Villette poursuit son chemin avec une programmation au TQI jusqu’au 8 Avril. Frédéric CherbÅ“uf revient avec cette adaptation du récit d’Emmanuel Carrère sur la personnalité énigmatique de Jean-Claude Roman, assassin de toute sa famille après avoir mené durant une vingtaine d’années une double vie. Ce fait-divers traité ici sous différents prismes est érigé par la Compagnie La part de l’ombre en véritable thriller psychologique, une plongée anxiogène dans le vertige du mensonge.

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« Quand il faisait son entrée sur la scène domestique de sa vie, chacun pensait qu’il venait d’une autre scène où il tenait un rôle, celui de l’important qui court le monde…et qu’il le reprendrait en sortant. Mais il n’y avait pas d’autre scène, pas d’autre public devant qui jouer l’autre rôle. Dehors, il se retrouvait nu. Il retournait à l’absence, au vide, au blanc, qui n’étaient pas un accident de parcours mais l’unique expérience de sa vie. » E. Carrère 

Le 9 Janvier 1993 un terrible incendie ravage la maison de Jean-Claude Roman. Ce dernier s’en sort miraculeusement mais les corps de ses deux enfants et de sa femme sont retrouvés sans vie. Tandis que l’on retrouve également les parents de Roman assasinés par balles l’enquête révèle très vite que Jean-Claude Roman est le meurtrier et qu’il mentait à ses proches depuis dix-huit ans. Il n’avait jamais été le médecin chercheur renommé qu il prétendait être. Dix-huit années durant lesquelles absolument personne, ni sa famille, ni ses amis les plus proches, ne s était même douté de l’étendue de la supercherie. Emmanuel Carrère fasciné par ce personnage insondable entreprend d’écrire un récit sur cette histoire glauque qui l’accompagna pendant cinq ans. Il y livre avant tout la relation trouble qui s’installa entre le meurtrier et lui, une sorte de fascination malsaine doublée d’une forme de compassion dérangeante. Comment réagir face au mensonge et à la révélation du monstre au monde ?

Profondément théâtral dans son rapport à la fiction notamment « L’adversaire » s’avére être un matériau de choix pour le metteur en scène Frédéric CherbÅ“uf. Celui-ci est d’ailleurs présent au plateau interprétant tout d’abord son propre rôle avant de devenir un juge observant de loin toute l’affaire. Évidemment la personnalité de Jean-Claude Roman est pour beaucoup dans l’intêret du spectacle, un tel anti-héros est passionnant à observer, à tenter d’en comprendre la psychologie et les raisons de son incroyable geste. Mais la structure même du roman donne un tout autre angle de vue qu’une simple analyse à froid d’un énième fait-divers si horrible soit-il. Ce sont véritablement ceux qui gravitent autour du monstre qui sont ici passés au crible à commencer par Emmanuel Carrère lui-même. Son dégoût profond pour les meurtres commis, mêlé à sa fascination morbide pour Roman, la culpabilité sous-jacente d’ériger le monstre en héros d’un récit sont autant de poids à porter, des questionnements existentiels que l’on partage ici avec son incarnation sur scène. Le spectateur est ainsi pris dans une intrigue troublante où comme plongé dans un polar haletant, il assemble au fur et à mesure des témoignages, les pièces d’un puzzle complexe, se retrouvant au cÅ“ur du processus mensonger de Jean-Claude Roman. Pas de quatrième mur, le public est intégré à la réflexion globale sur l’imposture écrasante et improbable de Roman. A la fois juge et voyeur il peut ainsi traverser les mêmes états que ceux  rencontrés par Carrère, expérimenter les mêmes doutes face à la figure du montre. La scénographie est épurée, sobre comme le requiert son sujet, seuls quelques personnages apporteront un léger décalage par leurs costumes ou leurs attitudes agissant comme un miroir grossissant du magnétisme étrange de Roman. Indéniablement au fil de cette mise en scène minutieuse la performance de Vincent Berger est impressionnante. Il interprète à la fois Carrère et Roman renforçant l’ambiguïté de leurs rapports, subrepticement il nous entraîne dans cette chute inéluctable au cÅ“ur de la noirceur. Entouré d’une équipe de comédiens talentueux qui incarnent l’entourage du meurtrier, il joue sa partition avec une précision millimétrée, tel un équilibriste à la limite d’un fossé sans fond. Un très beau travail sur les lumières et la musique  en contrepoint, jouée au piano par Camille Blouet, finalise ce spectacle vertigineux.

Audrey Jean

« L’adversaire » d’après Emmanuel Carrère
Mise en scène Frédéric Cherbœuf

Adaptation : Vincent Berger et Frédéric Cherbœuf

Avec : Vincent Berger, Camille Blouet, Frédéric Cherbœuf, Gretel Delattre, Jean de Pange, Maryse Ravera et Alexandrine Serre

Jusqu’au 8 Avril 
Mardi, mercredi, et vendredi à 20H
Jeudi à 19H
Samedi à 18H
Dimanche à 16H

Théâtre des Quartiers d’Ivry 
Studio Casanova

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