Nadia Rémita nous gratifie en ce moment d’une belle mise en scène du texte « L’autre fille » d’Annie Ernaux interprété avec fougue par la comédienne Laurence Mongeaud. Il s’agit en effet de l’histoire personnelle de l’autrice emblématique, une histoire de famille, de secrets lourds à porter, de ceux qui indéniablement marquent et changent une vie. Un travail tout en délicatesse symbolisé au plateau par une mise en scène inventive et sensible, et porté par une actrice habitée.

« Elle était plus gentille que celle-là »
Tout commence avec ces mots, les mots d’une mère à une autre dans le flot d’une conversation entre adultes qui se veut discrète. Sauf que celle-là, elle entend, celle-là elle a dix ans et comme une gifle la vérité lui éclate au visage. Il y a eu avant elle une autre petite fille, une soeur qui n’est plus, qui était manifestement plus gentille et qui a disparu. Jamais mère et fille n’en parleront, même après ce moment, jamais l’abcès n’éclatera et il restera pour toujours entre Annie Ernaux et ses parents une tâche d’encre noire, poisseuse et indélébile.

Nadia Rémita s’empare de ce texte délicat avec beaucoup d’intelligence, elle parvient à donner sur le plateau un relief passionnant notamment par le biais d’une scénographie ingénieuse. Autant de détails, de petites trouvailles scéniques qui sont comme des petits cailloux semés pour trouver le chemin, une illustration de la quête initiatique, de la reconstruction et de l’introspection qu’entame Annie Ernaux après le choc de la découverte. Le texte est profond, chargé,  il charrie avec violence et pudeur la colère et l’amour qui se heurtent en permanence dans les entrailles du personnage. Directement adressée à cette soeur jamais connue mais tellement présente, cette parole nous intègre pourtant immédiatement grâce à l’interprétation au cordeau de Laurence Mongeaud. Elle sublime avec maestria les enjeux de ce récit. Qu’est-ce-qu’il reste de ça ? qu’est-ce-qu’il reste comme trace dans les esprits, dans les chairs, dans les âmes ? De l’absence naît quelque chose, de la tragédie intime émerge une force, Annie Ernaux voit dans ce secret familial toute la genèse de ce qu’elle fût par la suite, la construction de sa personnalité, meurtrie mais aussi endurcie par un rapport faussé avec les parents. Elle l’affirme aussi, l’envie d’écrire est née en elle avec la disparition de cette soeur, c’est par là qu’elle, Annie existera.

Audrey Jean

« L’autre fille » d’Annie Ernaux
Mise en scène Nadia Rémita

Interpretation Laurence Mougeaud

Studio Hébertot
Du 16 avril au 19 Juin
Les mardis et mercredis à 21h

À noter qu’Annie Ernaux sera présente lors de la représentation du mardi 7 mai pour une rencontre

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