Actuellement programmé au Théâtre 13 Seine Thomas Bellorini s’empare avec brio de l’unique pièce de théâtre écrite par l’italien Erri de Luca « Le dernier voyage de Sindbad ». Une fresque austère qui a pour décor la mer Méditerranée et son cimetière de migrants, un oratorio bouleversant porté par des artistes engagés dont les voix, sublimes, chantent la douleur de ces rêves de vies réduites en écume.

C’est le dernier voyage de Sindbad, le bateau est vieux et lui aussi, usés tous deux par les embruns et les longues traversées mouvementées. C’est le dernier voyage aussi pour ces hommes et ces femmes entassés comme de vulgaires marchandises dans la cale sombre et glaciale. Au bout du rêve pourtant comme un ultime but l’Europe, au bout du voyage une vie meilleure. Une vie tout court pour ceux qui n’ont désormais plus rien.

Erri de Luca s’inspire ici d’un fait-divers sordide en 1997, le naufrage d’un bateau dont la cale remplie de migrants albanais fût leur tombeau. Il entremêle alors cette histoire, devenu d’autant plus réelle aujourd’hui de par sa répétition inéluctable dans nos journaux, avec la figure mythique de Sindbad et en extrait une épopée lyrique où la misère des hommes est poétisée sans pour autant jamais l’édulcorer. La tension est en effet palpable, les mots sont durs, on respire mal dans cette cale, on ne voit ni le ciel, ni la mer se déchaîner autour de la coque, ni les fantômes de ceux qui y ont laissé déjà bien des vies. Thomas Belleroni met en scène cette partition poignante avec beaucoup de sensibilité, il choisit d’associer des chants au texte, des mélodies du monde, où toutes les langues résonnent avec force qu’elles soient chantées seules ou dans une forme chorale. La musique comme langage universel, comme seule et dernière possibilité de communiquer sa joie ou sa tristesse lorsqu’on ne parle pas les mêmes mots. La musique comme cri ultime, comme toute dernière tentative de survie. Si le spectacle dans son ensemble est quelque peu inégal, les parties chantées sont d’une beauté sidérante, provoquant instantanément chez le spectateur une émotion viscérale, une révolte violente face à l’horreur de ces destinées tragiques. La scénographie épurée isole deux espaces de jeu, confrontant l’horizontal au vertical, la difficulté pour ces hommes de s’extraire de leurs conditions est d’autant plus frappante. Thomas Bellorini provoque ainsi à plusieurs reprises des images somptueuses sur le plateau, notamment les scènes aériennes avec l’équilibriste. À mesure que le récit avance, tel un voyage dont on connaîtrait la fin lugubre, l’émotion monte par vagues, nous laissant impuissants et vides, la gorge serrée lors de cette bouleversante complainte finale.

Audrey Jean

« Le dernier voyage de Sindbad » 
Texte Erri de Luca
Mise en scène et direction musicale Thomas Bellorini

Avec Brenda Clark, Anahita Gohari, Stanislas Grimbert, Simon Koukissa, Frederic Lapinsonniere, Adrien Noblet, Celine Ottria, Francois Perache, Marc Schapira, Gulay Hacer Toruk, Zsuzsanna Varkonyi et Jonathan Zeugma

Théâtre 13 Seine jusqu’au 20 Décembre

Du mardi au samedi à 20h
le dimanche à 16h

Coproduction Compagnie Gabbiano, le 104

 

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