Le théâtre de l’Odéon en cette fin de saison nous offre un Misanthrope décapant. Revisitant cette magnifique pièce de Molière, Jean-François Sivadier s’en donne à cœur joie pour aérer ce classique en jouant sur tous les registres : musique, musicalité des mots et effets spéciaux. Le résultat est à l’image de la scénographie : royal !

Si l’on pouvait résumer le personnage et la pièce, ce serait par ces mots :

« Je refuse d’un cœur la vaste complaisance
Qui ne fait de mérite aucune différence;
Je veux qu’on me distingue ; et pour le trancher net,
L’ami du genre humain n’est point du tout mon fait. »

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Mâtiné au son glam-rock, Jean-François Sivadier annonce la couleur en privilégiant l’originalité au classicisme de la pièce. Si le texte est respecté, il s’accorde à accentuer la musicalité des mots ou le jeu de phrases en suspens qui souligne d’autant le comique des scènes. Débordant de vitalité, les comédiens jouent avec les espaces dans une scénographie qui rappelle les fastes de Versailles. Tout y est jusqu’aux minuscules jets d’eau et aux lumières qui émaillent la scène de ces splendeurs. La force de ce spectacle est de caler une mise en scène détonante en respectant le contexte de l’époque. Jouer avec un tel paradoxe est tout simplement bluffant. Mais parfois cette mise en scène bascule dans le baroque ou Alceste projette avec violence des chaises sur un amoncellement prévu à cet effet.

Deux hommes sur scène, deux réalités bien distinctes : l’authenticité absolue jusqu’au chaos et l’accommodement bienveillant profitant au jeu social permettant le  maintien de l’ordre. Dans ce chassé croisé de nos ressentis envers l’un ou l’autre, Molière s’amuse à nous perdre à ce jeu en posant la question de fond suivante : une telle dichotomie peut-elle exister ? Si la pièce commence dans une crise, la philosophie qui préoccupe Philinte et Alceste tentent d’être la réponse à cette problématique. Mais Molière, tel un mauvais génie, rend ce misanthrope amoureux fou de celle qui représente pour lui le parti de l’hypocrisie. Renonçant à choisir entre Alceste et les autres, elle renvoie son amoureux transi dans les limbes. Se soulant de belles paroles qui sont autant d’armes à sa disposition, il guide son combat identitaire dans un paroxysme d’alexandrins qui achèvent de l’asphyxier. Tel un Dieu déchu, Alceste, s’aperçoit au comble de son délire, que Célimène le confond dans une foule  ordinaire en le banalisant. Molière signe une de ses pièces les plus abouties où l’humanité en ressort grandie.

 

Laurent Schteiner

 

Le Misanthrope de Molière

Mise en scène de Jean-François Sivadier

Avec Cyril Bothorel, Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Vincent Guédon, Anne-Lise Heimburger, Norah Krief, Christophe Ratandra, Christèle Tual

  • Scénographie : Daniel Jeanneteau, Christian Troie et Jean-Francois Sivadier
  • Collaboration artistique : Nicolas Bouchaud et Véronique Timsit
  • Lumière : Philippe Berthomé
  • Costumes : Virginie Gervaise
  • Perruques : Cécile Kretschmar
  • Son : Eve-Anne Joalland
  • Chant : Emmanuel Olivier

 

Théâtre de l’Odéon – théâtre de l’Europe
Paris 6ème – 01 44 85 40 40
Jusqu’au 29 juin 2013

 
 
 
 

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