Jean Bellorini démarre la saison du TGP en fanfare avec une pièce sublime autour d’un texte de Ferenc Molnar « Liliom ou la vie et la mort d’un vaurien ». Récemment auréolé de plusieurs molières, le directeur de ce haut lieu de création nous offre un nouvel aperçu savoureux de son travail foisonnant, travail caractérisé une fois de plus par une scénographie colossale. Ce Liliom s’avère être teinté du charme désuet des fêtes foraines, un conte triste pailleté de magie, instant suspendu de poésie pure.  Incontestablement le spectacle à ne pas manquer en ce début de saison ! 

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Une légende de banlieue en sept tableaux. La vie d’un homme, d’un bonimenteur de foire en sept étapes cruciales. Il n’en faut pas plus pour résumer l’itinéraire foudroyant de ce vaurien. Liliom a le charme toxique du mauvais garçon, la gueule d’ange et l’âme rongée. Dans son manège il charme les filles, couche un peu avec la patronne Mme Muscat, et regarde le temps qui tourne en rond, comme lui. Aucun passé, aucun avenir, il vit sa vie comme ça Liliom, il n’attend rien. Mais elle arrive quand même celle qui bouleverse le sens de son manège, c’est Julie la boniche, elle est têtu, grande gueule et fragile comme un petit moineau. Ils quittent la foire ensemble, rêvent un instant d’un autre chemin mais chez Molnar les petites gens ont des petites vies et la fatalité du destin les rattrape. 

Adapté plusieurs fois au cinéma et au théâtre ce texte écrit en 1909 par l’auteur hongrois Ferenc Molnar renaît ici dans une traduction particulièrement judicieuse. Il en résulte une langue mélodieuse et furieusement moderne, un argot aux accents rocailleux qui sert à la perfection cette histoire simple mais non moins passionnante . La pauvreté n’a pas d’époque et la frustration de ne pas être celui que l’on rêve s’inscrit autant dans notre siècle que dans le précédent. Liliom et Julie pourraient ainsi être des amants  d’aujourd’hui, écrasés par la brutalité d’un quotidien trop lourd, blessés par la rugosité de la vraie vie. Ils seront en tous les cas terriblement attachants, sur le plateau toutes ses âmes errantes auront pour un moment dans nos yeux la fulgurance des étoiles filantes. Entre espoir et désillusion c’est un théâtre ancré dans une réalité primitive que nous sert cet auteur et ce conte noir magnifique trouve en Jean Bellorini un metteur en scène à la hauteur de l’enjeu. 

« Vivre l’expérience théâtrale comme un acte poétique » C’est ainsi qu’il souhaite s’orienter et à l’instar de ses précédentes créations Liliom en est une illustration parfaite. Comme à son habitude le directeur du TGP signe avec ce spectacle une scénographie époustouflante qui saisit par sa beauté. Le décorum de Liliom était certes inspirant à la base mais Jean Bellorini va bien au delà de nos espérances en la matière. Auto-tamponneuses, roulottes et grande roue seront de la partie tandis qu’un travail remarquable sur les lumières finalise l’esthétisme de l’ensemble. L’illusion atteint ici des sommets, la magie est à son comble et assombrit en comparaison un peu plus le destin tragique des personnages. La vie de Liliom et Julie est aussi noire que la fête foraine voisine est lumière, et Jean Bellorini enclenche devant nous une machine à fabriquer du rêve pour prolonger l’illusion d’un autre destin possible. La musique tient également une place de choix dans cette création, saluons d’ailleurs particulièrement le solo de harpe, véritable apothéose saisissante de poésie.

On retrouve avec joie les visages familiers de la compagnie Air de Lune, tous endossant avec maestria leurs rôles dans une maîtrise du tempo impressionnante. Le duo phare est quand à lui aussi hypnotisant que les lumières de la fête. Clara Mayer trouve ici un rôle de premier ordre avec le personnages de Julie, son phrasé si particulier prennant une ampleur incomparable avec ce texte cru. Façe à elle Julien Bouanich explore toutes les contradictions de Liliom, il sert un jeu nuancé et tout en sensibilité dessinant avec beaucoup de finesse les contours de ce personnage complexe. Vous l’aurez compris Liliom est une merveille, ni plus ni moins. 

Audrey Jean 

« Liliom ou la vie et la mort d’un vaurien » de Ferenc Molnar 

Mise en scène, scénographie et lumières de Jean Bellorini 

Traduction Kristina Rady, Alexis Moati, Stratis Vouyoucas
Musique Sébastien Trouvé

Avec Julien Bouanich, Amandine Calsat, Julien Cigana, Delphine Cottu, Jacques Hadjaje, Clara Mayer, Teddy Melis, Marc Plas, Lidwine de Royer Dupré, Hugo Sablic, Sébastien Trouvé et Damien Vigouroux 

Jusqu’au 12 Octobre 

Du lundi au samedi à 20H
Dimanche à 15H30

TGP, centre dramatique national de St Denis 

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