Le Théâtre des Bouffes du Nord met à l’honneur Guillaume Vincent avec deux spectacles pour la rentrée dont  « Love me tender » une création adaptée de nouvelles de Raymond Carver. Le metteur en scène déploie ici son art de la scénographie et de la dramaturgie pour aboutir à un assemblage complexe et original, une partition mouvante qui révèle avant tout une distribution éclatante.

Ils sont huit sur le plateau à se partager les turpitudes de multiples personnages carveriens, six nouvelles de l’auteur américain sont en effet entremêlées dans cette création par un habile travail de dramaturgie. Le spectateur glisse ainsi d’un couple à l’autre, les récits se mélangent et brouillent les repères jusqu’à entrecroiser parfois les dialogues dans la narration. Guillaume Vincent réalise un spectacle d’assemblage, un patchwork haut en couleurs où l’acteur reste le point de tous les repères, l’épicentre d’un drame banal et sublime à la fois. On dit souvent de Carver qu’il était le Tchekhov américain et l’on retrouve incontestablement sur la scène l’essence de cette écriture du quotidien propre aux deux auteurs, des petites histoires, des gens normaux mais dont on devine au fil des dialogues les failles et les malaises. Tel un tableau qui perd peu à peu de ses couleurs la pièce enferme lentement les personnages dans leur tristesse, dans leur solitude, construisant des murs de petits malheurs imaginaires et infranchissables.
La scénographie baroque, exubérante immerge en premier lieu le spectateur dans cet univers chargé de paillettes, de vapeurs de vin chaud, une atmosphère légère embrumée de haschich,  mais très vite les premiers craquements se laissent entrevoir sous le vernis d’apparat. Le couple dans toutes ses errances, dans tous ses vertiges, voici bien le thème de prédilection de Carver et Guillaume Vincent en saisit parfaitement la complexité. Son spectacle glisse subrepticement vers la crispation, vers le danger, l’inquiétude est là cachée derrière les rires trop sonores et les brushings trop impeccables. Le plateau délimite plusieurs espaces de jeu dont les frontières sont poreuses, chaque acteur aura la responsabilité et la joie d’endosser les rôles de deux personnages comme pour mieux brouiller les pistes dans cette quête amoureuse vacillante. L’espace est plein et les coeurs se vident, à mesure que l’on avance dans ses intrigues carveriennes la faille est de plus en plus béante aspirant avec elle les idéaux frustrés de ses héros ordinaires. La deuxième partie éclaire alors la première d’un jour nouveau et le spectacle prend sa dimension la plus touchante, la plus grinçante aussi. Le couple se délite, le vin devient amer, au-dehors il neige.

Audrey Jean

« Love me tender » d’après les nouvelles de Raymond Carver
Adaptation et mise en scène de Guillaume Vincent

Avec Émilie Incerti Formentini, Victoire Goupil, Florence Janas, Cyril Metzger, Alexandre Michel, Philippe Smith, Kyoko Takenanka, Charles-Henri Wolff et en alternance Gaëtan Amiel, Lucas Ponton ou Simon Susset

Jusqu’au 5 Octobre
Du mardi au samedi à 20h30
Mâtinées les samedis 22 et 29 à 15h30

Théâtre des Bouffes du Nord

Également à l’affiche une autre mise en scène de Guillaume Vincent « Callisto et Arcas » d’après Ovide jusqu’au 27 Septembre

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