Adapter au théâtre un monument de la littérature, tel que Les misérables de Victor Hugo, relève de la gageure. Mais force fut de constater que Jean Bellorini a brillamment réussi dans cette entreprise puisqu’il nous offre actuellement, au Théâtre d’Ivry Antoine Vitez, une mise en scène magistrale de ce chef d’œuvre. Présentée en deux époques, cette pièce est à proprement parler un feu d’artifice que l’on déguste quasiment à livre ouvert.

La force lyrique de l’œuvre et le réalisme de l’histoire versent le public dans un torrent où la petite histoire se conjugue à la grande Histoire. L’une des forces de cette pièce tient en la force narrative formulée dans un ton obsédant, voire hypnotique. Les spectateurs deviennent les otages de cette narration composée de phrasés clairs et distanciés. Des mots qui ricochent trouvant un écho dans l’imaginaire de l’auditoire. Les personnages naissent alors sous nos yeux et disposent d’une réalité évidente et éphémère à la fois. L’instant d’après, tout s’efface pour se reconstruire à nouveau ailleurs. Tel un jeu de lego, Jean Bellorini joue avec les spectateurs en modelant les personnages de l’histoire à l’envie. Une narration qui prend par moment les accents de la violence du verbe qui connait son paroxysme lors des journées d’émeutes. Le public est saisi par cette violence des miséreux qui portent les couleurs de la révolte dans les faubourgs du Paris de 1832.

tempete sous un crane

Mais Jean Bellorini n’est pas en reste avec l’amour magnifié par Eponine et celui prodigué par Fantine à sa fille Causette. Ces deux amours bien différents sont traités ici avec une sensibilité bouleversante. L’aspect humain, souligné avec justesse, nous renvoie à une problématique manichéenne centrale dans l’œuvre de Victor Hugo.

« Tant qu’il existera, par le fait des lois et des mÅ“urs, une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant d’une fatalité humaine la destinée qui est divine ; tant que les trois problèmes du siècle, la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l’enfant par la nuit, ne seront pas résolus ; tant que, dans de certaines régions, l’asphyxie sociale sera possible ; en d’autres termes, et à un point de vue plus étendu encore, tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles. » — Victor Hugo

Les comédiens sont proprement excellents et nous offrent une prestation de qualité qui résonne parfois au son de ponctuations musicales particulièrement bien choisies parmi les poèmes de Victor Hugo. Elles accompagnent tantôt la force narrative du propos tantôt elles le prolongent dans l’apaisement. Ce spectacle, hors-normes, est sans conteste une création de qualité à ne manquer sous aucun prétexte !

« Il ya un spectacle plus grand que le ciel, c’est l’intérieur de l’âme ! » (Victor Hugo)

Laurent Schteiner
 
Tempête sous un crâne – Victor Hugo d’après les Misérables
Mise en scène de Jean Bellorini
Adaptation de Jean Bellorini et Camille de la Guillonnière
Avec Mathieu Coblentz, Karyll Elgrichi, Camille de la Guillonnière, Clara Mayer, Céline Ottria, Marc Plac et Hugo Sablic

  • Création musicale : Céline Ottria
  • Régie générale et lumière : Benoit Fenayon
  • Régie son : Adrien Wernert et Michel Head
  • Régie plateau : Véronique Chanrd
  • Habilleuse : Marie Beaudrionnet
  • Copyright / Crédit photos Pierre Dolzani

Théâtre d’Ivry Antoine Vitez
1 rue Simon Dereure – 94200 Ivry
www.theatre-quartiers-ivry.com
Réservations : 01 43 90 11 11
Jusqu’au 25 mai du mardi au samedi à 19h00, le dimanche à 15h00

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