Nous l’avions découvert récemment avec le truculent spectacle « Le laboratoire chorégraphique de rupture contemporaine des gens ». Laëtitita Guédon opère un virage audacieux et nous livre sa mise en scène des Troyennes actuellement à l’affiche du Théâtre 13. Une proposition résolument contemporaine qui se distingue par un travail remarquable sur l’oralité et le rythme même de la langue d’Euripide.

Visuel 1 � Alain Richard

Si la tragédie se caractérise entre autres par le manque d’espoir et la certitude absolue que tout finira mal, « Les Troyennes » en est la version la plus pessimiste. Troisième volet d’une trilogie de meurtres et d’horreurs la pièce fait le constat final des dommages laissés après dix ans d’une guerre sanguinaire entre Grecs et Troyens. Sa particularité est qu’il n’y a pas à proprement parler d’action, c’est plutôt un état des lieux désabusé de la part des victimes, ces femmes troyennes à qui l’on vient annoncer leur destination finale. C’est un chant terrible des vaincus, les dernières paroles d’un peuple condamné par la défaite à l’image de ces femmes, reines hier, et aujourd’hui vendues aux Grecs. La fatalité est là, tout près, leur laissant simplement le temps de libérer un dernier cri avant de les cueillir une par une. En dignes héroïnes de tragédie Hécube, Andromaque, Cassandre et Hélène seront vaillantes jusqu’au bout devant l’adversité livrant dans la douleur ce dernier poème vers l’infini.

Que dire aujourd’hui avec les Troyennes ? Comment ancrer dans la société de maintenant cette tragédie écrite il y a plus de 2000 ans ? Laëtitia Guédon s’inscrit ici dans une nouvelle mouvance, un courant qui commence d’ailleurs à faire ses preuves. Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer dans nos colonnes le travail de la compagnie BrutaFlor , la création autour d’Hamlet des élèves de l’ESAD la saison passée ou même à une autre échelle celui de Julien Gosselin sur « Les particules élémentaires ». Cette génération de metteurs en scène semble privilégier un théâtre de sensations, basé sur le ressenti physique plus que sur le sens ou la psychologie, et aboutissant souvent à des formes s’approchant du théâtre performatif. Ils s’attachent à s’éloigner de la nature première du texte, le découpant, le modulant, le triturant à grands renforts de micros ou d’effets sonores; mais pour mieux en faire ressortir un aspect primitif , viscéral et par extension furieusement moderne. La démarche prend évidemment son sens avec un texte aussi chargé que la tragédie d’Euripide. L’adaptation et la traduction laisse ici la place à une langue concrète, une parole puissante qui dénonce sans faiblir une seconde le destin tragique des Troyennes.
Le plateau se veut dénudé pour mieux mettre en exergue la force des voix et la soumission des corps. Une inquiétante structure métallique se dresse au centre de la scène, suspendue au dessus des têtes des Troyennes : Métaphore d’un destin menaçant, le symbole d’une mort capable de frapper à chaque instant, implacable. Les costumes quand à eux s’inscrivent également dans la modernité, quelque chose de presque quotidien qui permet de poser la question de la territorialité au présent, d’ancrer la tragédie dans des problématiques d’aujourd’hui.
Alors que le festival Péril Jeune de Confluences nous permet également en ce moment de rencontrer ses nouveaux acteurs de la scène contemporaine Laëtitia Guédon livre ici une proposition cohérente et généreuse, la jeune création a décidément de beaux jours devant elle !

Audrey Jean

Troyennes 
Les morts se moquent des beaux enterrements

Texte Kevin Keiss d’après Euripide
Mise en scène de Laëtitia Guédon 

Avec Blade Mc Ali M’Baye, Mounya Boudiaf, Kevin Keiss, Adrien Michaux, Pierre Mignard, Marie Payen, Valentine Vittoz et Lou Wenzel

Crédits photos : Alain Richard 

Jusqu’au 14 Décembre
Mardi, jeudi et samedi à 19H30
Mercredi et vendredi à 20H30
Dimanche à 15H30

Théâtre 13 Seine 

30 rue du Chevaleret
75013 Paris 

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